Se réveiller à la vie

Quand Santino Matrundola, un jeune photographe de Montréal, a eu pour tâche d’immortaliser l’une des journées les plus importantes de la vie de ses clients : leurs fiançailles. Il avait une migraine intolérable, mais rien ne pouvait aller mal cette journée-là. Il devait saisir le moment et il était prêt à le faire.

Santino avait déjà consulté un médecin le mois précédent à cause de ses migraines. On lui avait diagnostiqué une infection des sinus, on l’avait renvoyé chez lui avec des antibiotiques et on lui avait dit que ses problèmes disparaîtraient au bout de quelques semaines. Même s’il était en attente d’un rendez-vous de suivi avec un otorhinolaryngologiste (un spécialiste des oreilles, du nez et de la gorge), il était convaincu qu’il serait bientôt débarrassé de ses maux de tête.

Santino Matrundola
Santino Matrundola
Je n’oublierai jamais l’air du médecin quand il m’a dit que je devais me faire opérer, sans quoi je deviendrais aveugle. Je savais que tout devait aller extrêmement vite et je n’ai pas eu le temps de réagir. — Santino Matrundola

Entre deux photos, Santino a tout à coup perdu momentanément la vue dans un œil. « Tout est devenu noir, se rappelle-t-il. Je suis rentré chez moi en état de choc et j’ai dit à mes parents que quelque chose n’allait pas. »

Le même soir, Santino a rassemblé les résultats de ses tests et s’est rendu à la salle d’urgence de l’Hôpital général de Montréal du Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Au bout de quelques heures, il a appris que ses migraines n’étaient pas causées par une simple infection des sinus, mais par une tumeur de l’hypophyse. Cette tumeur était tellement envahissante qu’elle appuyait sur les tissus cérébraux avoisinants, provoquait des maux de tête et compromettait sa vision.

« Je n’oublierai jamais l’air du médecin quand il m’a dit que je devais me faire opérer, sans quoi je deviendrais aveugle, se rappelle Santino. Je sentais l’urgence dans son ton. Je savais que tout devait aller extrêmement vite et je n’ai pas eu le temps de réagir. »

Santino Matrundola, de retour au travail, en juin 2015
Santino Matrundola, de retour au travail, en juin 2015
Santino Matrundola, après sa deuxième intervention chirurgicale, en octobre 2016
Santino Matrundola, après sa deuxième intervention chirurgicale, en octobre 2016
Crédit : Claudia Vinhal

Un diagnostic inattendu

Quarante-huit heures plus tard, Santino était dans la salle d’opération de l’Hôpital neurologique de Montréal du CUSM (le Neuro). Le docteur Denis Sirhan, neurochirurgien et directeur de la chirurgie cérébrovasculaire et de la base du crâne au Neuro, connaissait ce type d’intervention. Son objectif était simple : retirer la plus grande partie de la tumeur possible et en réduire les répercussions pour le patient.

« Pour moi, l’essentiel était d’aider ce jeune homme à garder la vue, déclare le Dr Sirhan. J’opère régulièrement ce type de tumeur, mais j’ai tenu compte du fait qu’il était photographe. Je voulais m’assurer que la tumeur n’appuierait plus sur le nerf optique ni sur les structures cérébrales adjacentes. »

L’opération a été réussie, mais puisque certaines tumeurs de l’hypophyse peuvent provoquer un déséquilibre hormonal, il a fallu effectuer des analyses sanguines et des évaluations pathologiques après l’opération. Les résultats sont arrivés quelques semaines plus tard : Santino était atteint d’une maladie rare, l’acromégalie.

L’acromégalie est un trouble hormonal qui se manifeste lorsque l’hypophyse, située à la base du cerveau, produit une quantité excessive d’hormones de croissance. Lorsque les enfants en sont atteints, on parle de gigantisme. Cependant, chez les adultes, les symptômes peuvent varier entre une hypertrophie des organes et des os, de l’arthrite, une perte de vision, une défiguration et d’autres maladies au potentiel mortel.

L’acromégalie est si rare qu’il peut falloir jusqu’à dix ans pour la diagnostiquer. C’est exactement ce qui est arrivé à Santino qui, après huit longues années à présenter des signes subtils de cette maladie, a finalement compris ce qui lui arrivait.

Le Dr Juan Rivera, endocrinologue et directeur du programme postdoctoral de tumeurs endocrines du CUSM, a pris le cas en charge. Puisque Santino avait déjà été opéré, le Dr Rivera s’est attaché à amorcer un traitement pour ralentir le processus de croissance hormonale. « L’acromégalie est une maladie très complexe, mais il est possible de la traiter, révèle-t-il. C’est exactement ce que nous faisons dans ce cas. Si on choisit le bon médicament, on peut stabiliser le déséquilibre hormonal. Cependant, il faut prévoir du temps. Il n’y a pas de raccourci pour régler le problème. »

Dr Denis Sirhan
Dr Denis Sirhan

Puisque le CUSM est le centre de référence québécois des cas complexes en endocrinologie et en métabolisme, le Dr Rivera et son équipe ont préparé des directives précises afin de diagnostiquer et de traiter la maladie. Selon le Dr Rivera, le CUSM reçoit environ 260 patients atteints d’acromégalie par année. Au Québec seulement, environ 600 personnes sont atteintes, et une trentaine sont diagnostiquées chaque année.

« Étant donné les différentes conséquences possibles de l’acromégalie sur le patient, des médecins de tout le Canada s’efforcent de sensibiliser leurs collègues afin de favoriser le diagnostic rapide de cette maladie », raconte le Dr Rivera.

Nous ne cherchons pas à battre des records, mais à aider des personnes à se sentir mieux. — Dr Denis Sirhan

Une deuxième opération et un nouveau départ

Au bout de deux ans, tandis que Santino s’adaptait à ses médicaments, la tumeur s’est remise à grossir. « On essaie d’être le plus clair, le plus transparent et le plus efficace possible avec le patient, affirme le Dr Sirhan, qui a procédé à une deuxième opération en octobre 2016. Nous ne cherchons pas à battre des records, mais à aider des personnes à se sentir mieux. C’est pourquoi nous n’avons pas hésité à opérer dès que nous avons constaté le retour de la tumeur. »

Aujourd’hui, à 37 ans, Santino a hâte de redevenir lui-même. Même s’il n’est pas heureux d’être atteint d’acromégalie, il apprécie les leçons qu’il en a tirées. « C’est comme si j’avais dormi pendant 32 ans, confie Santino avec émotion. Le jour où je me suis réveillé de ma première opération, c’est le jour où j’ai recommencé à vivre. Je me rends compte que la vie est précieuse et qu’elle peut se terminer en un instant. »

L’acromégalie peut être responsable des signes et symptômes suivants, qui peuvent varier d’une personne à l’autre : 

  • Hypertrophie des mains et des pieds
  • Épaississement des traits du visage
  • Petites excroissances des tissus cutanés
  • Fatigue et faiblesse musculaire
  • Ronflements prononcés causés par l’obstruction des voies respiratoires supérieures
  • Problèmes de vision
  • Maux de tête
  • Hypertrophie de la langue
  • Douleur et mobilité limitée aux articulations
  • Dysfonction érectile chez les hommes

Quand consulter un médecin

Si vous avez des signes et symptômes liés à l’acromégalie, demandez une évaluation à votre médecin.