Des équipes de chirurgie du CUSM font une différence dans le monde
Par Tamarah Feder
Les blessures constituent la principale cause de décès chez les gens de moins de 49 ans dans des pays comme le Rwanda, la Tanzanie, l’Ouganda, l’Ukraine ou Haïti. Contrairement à ce qu’on peut penser, ces blessures ne sont pas nécessairement attribuables à des conflits politiques ou à des catastrophes naturelles. Celles-ci résultent le plus souvent d’accidents qui surviennent sur une ferme, dans une rue en milieu urbain et même pendant les activités récréatives.
Si le nombre de décès est si élevé, ce n’est pas parce que plus de gens sont blessés, mais plutôt parce que, dans de nombreux pays à revenu faible ou moyen, les ressources médicales nécessaires pour soigner les patients ayant grand besoin de chirurgie ne sont pas suffisantes. À titre d’exemple, on ne compte que 16 chirurgiens généralistes au Rwanda, un pays de 8 millions d’habitants. En comparaison, environ 40 chirurgiens généralistes travaillent au CUSM.
Des professionnels de la santé et des représentants gouvernementaux de plusieurs pays sont venus cogner à la porte du Centre pour la chirurgie mondiale du CUSM – un groupe de chirurgiens et de formateurs bénévoles du CUSM qui prêtent main-forte aux pays dans le besoin.
À ce groupe plutôt informel de médecins dévoués se sont greffés d’autres professionnels de la santé, notamment des infirmières et des étudiants. Les efforts du groupe ont débouché sur la création d’un programme plus vaste qui va au-delà du travail clinique sur le terrain et qui vise à soutenir les facultés et les institutions médicales par des programmes de formation et de recherche, des programmes d’échange et la mise sur pied de services de traumatologie à l’échelle locale.
Deux chirurgiens extraordinaires et dévoués, spécialistes en traumatologie, assurent la direction du centre : le Dr Tarek Razek, chef de la division de chirurgie et traumatologie du CUSM et directeur du programme en traumatologie pour adultes, et le Dr Dan Deckelbaum, professeur adjoint au CUSM dans les divisions de traumatologie et de chirurgie générale. Le Dr Razek a notamment été chirurgien de guerre au Soudan et a fait partie de l’équipe de chirurgiens dépêchée à Haïti. Le Dr Deckelbaum possède une longue expérience clinique dans des hôpitaux gouvernementaux en Afrique de l'Est et dans le cadre de missions en Somalie, au Kenya, aux îles Turks et Caicos et à Haïti à la suite de catastrophes naturelles.
S’inspirant du proverbe « Donne un poisson à un homme, il mangera un jour. Apprends-lui à pêcher, il mangera toute sa vie », ils ont élargi le mandat du centre en établissant de solides alliances avec des universités, des hôpitaux et des gouvernements afin de créer des programmes destinés à améliorer, à renforcer et à accroître les équipes locales de chirurgie.
Le centre se distingue des autres organismes médicaux bénévoles puisqu’il offre ses services au pays qui l’invite. Par une approche axée sur la collaboration et la consultation avec leurs collègues du pays hôte, les bénévoles du centre élaborent et donnent des cours qui comblent les besoins ciblés par le pays d’accueil. Avant d’accepter une invitation, le centre effectue un examen approfondi et un grand travail préparatoire afin de trouver les bénévoles appropriés à qui on expliquera clairement les besoins du pays.
« Il est essentiel de bien comprendre les besoins de la région en matière de chirurgie. Ensuite, nous pouvons offrir de l’aide dans divers domaines, comme l'établissement de bases de données en traumatologie, en chirurgie générale ou pour les salles d'opération. Cette information est extrêmement utile, puisqu’elle permet d’évaluer le programme de formation et l’ensemble de la situation sanitaire d’un pays, l’aidant ainsi à mieux orienter ses politiques en matière de santé. »
Après l’acceptation d'une invitation, les bénévoles médicaux du CUSM créent et donnent un programme de formation d'un an, divisé en blocs de deux semaines et axé notamment sur la traumatologie et la chirurgie pédiatrique. Certains chirurgiens, comme le Dr Jean-Martin Laberge de l’Hôpital de Montréal pour enfants, relèvent des missions particulières comme la conception d’un programme de chirurgie pédiatrique.
Ce type de bénévolat ne s’adresse pas à tous les chirurgiens. Les médecins intéressés doivent posséder une bonne connaissance de la santé globale et comprendre le contexte dans lequel ils évolueront. C’est un travail bénévole dans tous les sens du mot, puisque les participants ne reçoivent aucune rémunération pour leurs services, même pas une indemnité quotidienne. Pour les médecins, les infirmières et les étudiants du CUSM participant à ce programme, l’investissement va bien au-delà de leur temps et de leur dévouement, puisqu’ils doivent puiser dans leur poche. Pour eux, c’est une forme d'engagement envers la communauté mondiale. « C’est extraordinaire de constater l'intérêt et la bonne volonté des chirurgiens. »
Les deux médecins s’entendent pour souligner l’immense contribution de généreux donateurs et de la Fondation du CUSM qui a permis de couvrir certaines dépenses. « Nous administrons l’argent de manière très judicieuse. Le centre est géré de manière très austère. Nous avons réussi à envoyer 17 chirurgiens au Rwanda pour moins de 26 000 $ », indique le Dr Razek. Le Dr Deckelbaum approuve. « Le maintien de notre financement constitue l'un de nos principaux défis. » Puis, il sourit. « Il est certain que nous accueillerons à bras ouverts quiconque souhaite nous aider. »
Même si dans certains des pays qui font appel au centre, la situation politique est délicate et même si la médecine a parfois une connotation politique, les Drs Deckelbaum et Razek rappellent que le centre est apolitique. « Nous n’avons aucune opinion politique. Nous sommes non partisans », confirme le Dr Deckelbaum. « Par exemple, nous avons travaillé récemment en Palestine, puis dans les jours suivants, nous étions en Israël pour y donner des cours sur la santé globale dans une école de médecine. »
La sécurité des bénévoles invités est primordiale et elle est assurée par une préparation minutieuse. « Nous partons dans des conditions très contrôlées. Si le contexte n’est pas approprié, nous n'y allons pas », assure le Dr Razek. « Nous nous rendons dans le pays dans des conditions très contrôlées. Si le contexte n’est pas approprié, nous n'y allons pas », assure le Dr Razek. Lui et le Dr Deckelbaum tirent parti de leurs expériences dans des contextes beaucoup plus compliqués. « Nous pesons soigneusement notre décision quand vient le temps de choisir la nature de notre mandat, les intervenants, les partenaires et les modalités. Un membre expérimenté de notre groupe se rend ensuite sur place pour évaluer le milieu avant que nous décidions s’il est approprié pour nous d’aller y œuvrer. Nous nous sentons tout à fait en sécurité. Il n’y a jamais eu de problème d’insécurité », souligne le Dr Razek.
Malgré le bien-fondé de notre mission, certains s'inquiètent du fait que de précieux chirurgiens du Québec ne sont plus là pour répondre aux besoins de la province. « Nos priorités et nos obligations ici passent toujours en premier », précise le Dr Razek. Nous effectuons le même genre d'activités de perfectionnement à Montréal, dans le Grand Nord du Québec et sur la Rive-Sud, ajoute le Dr Razek. C’est le prolongement de notre rôle au CUSM. Nous formons les jeunes chirurgiens pour en faire de grands chirurgiens. »
La charge de travail et la résistance émotionnelle nécessaires pour gérer le centre et répondre à des besoins aussi criants peuvent sembler excessives, mais les deux docteurs, et leur groupe de quelque 18 bénévoles, estiment que ce travail supplémentaire leur apporte plus qu’il n’ajoute à leurs tâches au CUSM.
Dans la gestion des aspects plus poignants de leur travail bénévole, les Drs Deckelbaum et Razek affichent le même pragmatisme, voire de la gratitude, lorsqu'ils décrivent le « privilège de pouvoir faire ce que nous faisons ». Tout en reconnaissant l’immensité des besoins, le Dr Deckelbaum met son travail en perspective. « Nous sommes des professionnels. C’est notre travail. Si vous pensez que vous allez sauver le monde, eh bien, cela n’arrivera pas. Il faut avoir des attentes réalistes et des objectifs atteignables. »
Les deux médecins se font modestes quant à l’impact qu’eux et leurs collègues ont par le biais du centre et à l'utilité de leur soutien pour mieux aider leurs collègues de l’étranger à sauver des vies. « Nous ne réussirons jamais à soigner toutes les blessures en Afrique, mais nous créons des partenariats et démarrons de petits programmes de formation. »
« Dans le monde, l’horreur et la beauté se côtoient, mais il est impératif d'en comprendre toutes les facettes. Il ne faut pas laisser toutes les choses que nous ne pouvons changer freiner notre élan. Vais-je régler tous les problèmes du monde? Non. Cependant, nous rencontrons des personnes extraordinaires et nous apprenons à connaître leur communauté et leur culture. C’est la même chose à Montréal. »