Un cadeau de Montréal au monde entier
Au début des années soixante, une des préoccupations principales des chercheurs en oncologie était d’identifier un biomarqueur spécifique au cancer, soit du matériel ou une molécule, qui puisse distinguer les cellules tumorales des cellules normales au moyen d’une analyse sanguine.« De nombreuses tentatives avaient été réalisées sans succès. On croyait à l’époque que ce biomarqueur ne serait jamais trouvé », dit le Dr Phil Gold, détenteur de la Chaire de médecine Douglas G. Cameron, professeur de médecine à l'Université McGill, premier directeur du Centre du cancer Goodman et ancien directeur du Département de médecine de l'Université McGill. « Pour moi et mon directeur de thèse de l’époque, le Dr Samuel Freedman, c’était comme un défi que nous étions heureux d’accepter. »
Après sa première année de résidence à l'Hôpital général de Montréal (HGM), le Dr Gold s’est consacré à son doctorat dans le laboratoire du Dr Freedman. Ce dernier était alors directeur du Service d’allergie de l'HGM et est ensuite devenu doyen de la Faculté de médecine de l'Université McGill. C’est en 1965 qu’ils ont publié la découverte de l'antigène carcinoembryonnaire (ACE), qui est produit au cours de la croissance de l'intestin. Des études subséquentes ont conduit au développement de l’analyse sanguine ACE - le premier test sanguin à être approuvé à l'échelle internationale pour la détection et la gestion du cancer humain. La détection du cancer a beaucoup évolué au cours des cinq dernières décennies, mais le test de l’ACE demeure aujourd’hui le test sanguin le plus fréquemment utilisé en oncologie dans le monde entier. Cette année marque le 50e anniversaire de cette découverte révolutionnaire par les deux chercheurs, qui constitue un cadeau de Montréal au monde entier.
Dr Gold se souvient des principes nouveaux et uniques qui ont permis cette découverte. « Nous avons employé des technologies immunologiques qui n'étaient pas utilisées dans la recherche sur le cancer à l'époque, souligne le Dr Gold. Nous avons concentré nos travaux sur des lapins parce qu'ils sont de bons producteurs d'anticorps. Nous avons étudié les tumeurs du côlon, car elles évoluent différemment des autres tumeurs, ce qui rend plus facile la comparaison des tissus tumoraux avec les tissus normaux issus d’un même individu. »
Les Drs Gold et Freedman ont ainsi exposé des lapins, dès leur naissance, à des échantillons de tissu normal du côlon humain, de façon à les rendre immunologiquement tolérants à ces tissus. Puis ils leur ont injecté, plus tard, des cellules cancéreuses provenant du même donneur. Les lapins ont alors réagi à la molécule associée au cancer. Eurêka! Les chercheurs venaient de détecter, pour la première fois dans l’histoire, un biomarqueur du cancer. Cela a ensuite permis d’identifier la molécule du cancer chez les humains, d’abord dans les organes digestifs des embryons humains, puis dans le cancer en général, ce qui a mené à la désignation de l’ACE.
« La découverte de l'ACE était importante, car c’était la première fois que l’existence du biomarqueur de la tumeur était clairement démontrée, même si de très petites quantités d’ACE étaient également présentes dans les tissus normaux, explique le Dr Gold. Par conséquent, nous avons été en mesure d'établir une analyse sanguine qui nous a permis d'examiner les échantillons de sang des individus ayant des états de santé variés et de voir si ce serait utile dans le diagnostic, la gestion et le traitement des patients atteints de cancer. »
Il a fallu beaucoup de travail, et la participation de laboratoires du monde entier pour démontrer que l’ACE est présent dans des concentrations élevées et croissantes dans 70 % de tous les cancers humains. L’analyse sanguine pour détecter l’ACE a été le premier test sanguin pour le cancer reconnu par la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis, puis par pratiquement tous les pays dans le monde.
Le Dr Alan Barkun, directeur de l’unité d’endoscopie digestive thérapeutique et de la qualité au sein du Service de gastroentérologie du CUSM, souligne l'importance de cette découverte : «Le test ACE constitue le standard dans la mesure d'autres marqueurs tumoraux humains. Depuis sa découverte, il y a 50 ans, ça demeure l’analyse sanguine la plus commune pour déterminer le diagnostic du cancer, affirme-t-il. Diverses organisations à travers le monde impliquées dans la lutte contre le cancer pensent que le test sanguin pour l’ACE est utile pour prévoir la réponse aux traitements et suivre la gestion de la maladie chez les patients atteints de cancer du côlon. Cette découverte a contribué à façonner l'ère moderne de l'immunologie du cancer et des marqueurs tumoraux. »
La brillante carrière du Dr Gold lui a valu une intronisation au Temple de la renommée médicale canadienne. Il a, entre autres, été nommé officier de l'Ordre national du Québec ainsi que compagnon de l'Ordre du Canada. Lorsque nous l'interrogeons sur l'avenir du cancer, le Dr Gold est optimiste. «Je crois en l’éminence d'une variété de traitements pour le cancer. Beaucoup de programmes sont déjà en place pour soigner des maladies telles que la maladie de Hodgkin et la leucémie myéloïde chronique qui sont devenues maintenant pratiquement curables, » dit-il. « De nombreux autres cancers communs tels que ceux de l'intestin, du sein, de même que le cancer du poumon sont traités avec de plus en plus de succès. »
Les Drs Gold et Freedman, ainsi que le 50e anniversaire de la découverte de l’ACE, ont été célébrés lors d'un symposium scientifique, le mardi 24 novembre 2015, par les professionnels de la santé, les chercheurs du CUSM et le grand public.