Gorilles dans la brume

Une équipe de chercheurs en sciences sociales de l’Université McGill effectue une étude ethnographique sur le travail organisationnel nécessaire pour procéder à la transition sans précédent entre le Centre universitaire de santé McGill (CUSM) et son nouvel emplacement du site Glen. Depuis septembre, les chercheurs observent et interviewent le personnel de deux départements du CUSM pour répertorier le mode de travail collaboratif des équipes et leur adaptation à la technologie et à leur environnement avant et après le déménagement.

Peter Nugus, Samer Faraj, Julia Kryluk, A.J. Rubineau, Carla Sayegh and Shawn Errunza répertorient le mode d’adaptation de deux unités du CUSM au prochain déménagement au site GlenDe g à d. : Peter Nugus, Samer Faraj, Julia Kryluk, A.J. Rubineau, Carla Sayegh and Shawn Errunza répertorient le mode d’adaptation de deux unités du CUSM au prochain déménagement au site Glen.

« Le déménagement de quatre hôpitaux et établissements du CUSM dans un seul lieu représente l’une des restructurations de services les plus colossales de l’histoire du Québec et l’une des plus grandes réorganisations de services de santé dans le monde. Il représente 2,7 milliards de dollars et touche 4 000 employés et des centaines de milliers de patients », affirme Peter Nugus, docteur en sociologie et en ethnographie, co-investigateur et professeur adjoint au département de médecine familiale et au centre d’éducation médicale de l’Université McGill. « Les hôpitaux sont des organisations complexes hautement fonctionnelles et hyperspécialisées. Ce projet jettera la lumière sur les processus de transition et permettra de tirer des leçons à la fois pour d’autres organisations de la santé et pour les systèmes extérieurs au milieu de la santé du monde entier. »

L’équipe de recherche a ciblé la salle d’urgence de l’Hôpital Royal Victoria (HRV) et les unités de soins intensifs néonatales (USIN) récemment fusionnées de l’HRV et de L’Hôpital pour enfants de Montréal (L’HEM).

« L’urgence est toujours le service de première ligne de l’organisation. Bien des gens ne se rendent pas compte qu’elle est, en quelque sorte, l’entonnoir de l’ensemble du système de santé, explique M. Nugus. Quant à l’USIN, elle sera doublement touchée. En plus de s’installer au site Glen, l’USIN de l’HRV, qui traite surtout de grands prématurés dont l’état est très préoccupant, devra fusionner ses processus et son personnel avec ceux de l’USIN de L’HEM, qui soigne généralement des nouveau-nés moins prématurés, plus gros, mais dont les problèmes de santé sont plus importants. Puisque les bébés soignés aux deux unités n’ont pas les mêmes types de problèmes, le personnel ne fonctionne pas de la même façon. Ces départements devront concilier leurs différences et harmoniser leur mode de travail conjoint. »

Dr Dankoff
« Il faut prendre conscience des compétences en communication et des compétences organisationnelles dans le milieu de la santé », souligne le Dr Frederic Dankoff, coordonnateur médical de la gestion des lits et du cheminement des patients aux sites pour adultes du CUSM.
 

D’après le Dr Frederic Dankoff, coordonnateur médical de la gestion des lits et du cheminement des patients aux sites pour adultes du CUSM, tant le milieu des sciences sociales que le monde des affaires peuvent tirer profit du savoir-faire sur la gestion du changement acquis dans les hôpitaux. 

« Il faut prendre conscience de l’ampleur des compétences en communication et des compétences organisationnelles dont est doté le secteur de la santé. À l’urgence, nous nous adaptons constamment et rapidement à de nouveaux protocoles et politiques, aux changements adoptés dans d’autres départements comme la cardiologie et la chirurgie et, bien sûr, à I’afflux des patients ».

Le Dr Dankoff a donné carte blanche à l’équipe d’ethnographes, qui peut ainsi suivre et scruter le personnel, prendre des notes et poser des questions.

« Je n’ai aucune idée de ce qu’ils inscrivent dans leurs calepins! Ils me font penser à Jane Goodall qui observait les gorilles dans leur habitat de Tanzanie, ajoute-t-il en riant. J’espère qu’ils obtiendront une image fidèle de la manière dont nous réagissons à la transition. »

Tout au long de ce processus, la confidentialité des patients et du personnel demeure primordiale. 

« Nous suivons le personnel avec l’assentiment d’un comité d’éthique, confie M. Nugus. Nous ne ciblons, ne jugeons, ni n’évaluons des individus. Nous nous intéressons au contexte et aux processus, aux situations dans lesquelles n’importe qui peut se trouver et qui permettent de tirer des leçons qui transcendent le milieu. Nous observons ce que les gens font, puis leur demandons d’expliquer leur comportement. Leurs opinions sont importantes, parce qu’elles orientent leurs actions. » 

M. Peter Nugus, docteur en sociologie et en ethnographie.« Le personnel du CUSM cherche à améliorer ses pratiques et ses protocoles pendant la période de transition », déclare M. Peter Nugus, docteur en sociologie et en ethnographie.
 

M. Nugus, qui a étudié et comparé quelques-unes des plus grandes salles d’urgence du monde, est souvent ébahi par le « formidable répertoire de connaissances et d’habiletés organisationnelles qu’accumulent les travailleurs de la santé. » Comme il l’a observé, ces compétences ont été mises à l’épreuve pendant la première phase de la transition au CUSM, et les résultats sont positifs.

D’après Samer Faraj, doyen associé à la faculté de gestion de McGill et co-investigateur, malgré l’anxiété évidente et compréhensible, de l’optimisme se dégage à l’égard des possibilités de changement. « Les employés essayaient de clarifier les processus et les protocoles liés à leur mode de travail les uns avec les autres et avec les autres unités, déclare-t-il. De plus, ils remettaient leurs pratiques en question et tentaient de les améliorer. » 

« Lorsque les cliniciens, le personnel et les gestionnaires ont l’impression de pouvoir utiliser leur créativité pour influer sur leur milieu de travail, ils s’engagent et s’investissent davantage dans leur travail, ajoute M. Nugus. Tout ce processus favorise la confiance envers l’organisation. »

Le Dr Dankoff sait très bien que des changements fondamentaux étaient déjà en cours avant le début des déménagements au site Glen.

« Le processus se poursuit. Malgré la formation et les préparatifs, les activités cliniques n’étaient pas optimales au départ, observe-t-il. Nous avons repris la formation dès notre premier jour au Glen. »

M. Nugus et son équipe sont là, comme les anthropologues dans les tribus montagnardes de Thaïlande, et ils répertorient tout ce qu’ils voient. 

MM. Nugus et Faraj ont reçu une bourse du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH). Outre le Dr Dankoff, la Dre Thérèse Perrault, directrice de la néonatologie au CUSM, Carla Sayegh, doctorante à la faculté de gestion, A.J.Rubineau, Shawn Errunza et Julia Kryluk, chercheurs, et Yrjö Engestrom et Anu Kajamaa, chercheurs finlandais renommés en sciences sociales, font partie de l’équipe de recherche.