L'humble géant du jazz

Une paire de chaussures et deux habits, c’est tout ce qu’il vous faut, affirme Oliver Jones lorsqu’il contemple sa vie réussie de musicien de jazz. J’ai été mis sur cette terre pour une chose. « Je ne suis pas particulièrement intelligent ni particulièrement beau, mais j’ai reçu un don, et je dois m’en servir pour donner à mon prochain. »

Oliver Jones

Oliver Jones

Ces valeurs résument bien Oliver Jones, ce Montréalais de réputation internationale, géant du piano et du jazz. Détenteur de six doctorats honorifiques et d’une foule de prix prestigieux (y compris l’Ordre du Canada et l’Ordre du Québec), il a fait paraître 22 albums, a parcouru le monde à titre d’ambassadeur culturel du Canada et a enrichi le cœur et l’âme du Festival de jazz de Montréal. Malgré ses succès, il choisit encore de ne pas s’encombrer d’objets et de s'entourer de sa famille, de ses amis et de sa communauté, en poursuivant la mission de redonner à la société.

« J’ai voyagé partout dans le monde, mais c’est chez nous qu’on peut juger de notre valeur, dit-il sur l’importance de ne pas oublier qui il est et d’où il vient. J’ai grandi dans St-Henri, qui est maintenant la Petite-Bourgogne, et j’y retourne encore presque toutes les semaines. C’est dans ce quartier qu’habitaient la majorité des Noirs de Montréal, parce que la plupart des hommes travaillaient pour le CN et le CP. Même si mon père travaillait pour le CP, il n’était pas bagagiste comme beaucoup d’autres. Il était mécanicien aux usines Angus. »

Les deux parents d’Oliver ont immigré de la Barbade. Son père est arrivé en 1913 pour s’enrôler dans l’armée canadienne parce que son oncle, qui travaillait dans la marine marchande, était venu au Canada en 1887 et avait rapporté de nombreuses histoires sur ses expériences. Dans leur jeunesse, son père et le cousin de celui-ci s’étaient juré de s’établir au Canada. Sa mère, qui connaissait déjà le père d’Oliver, est arrivée environ sept ans plus tard.

Oliver Jones et Charlie Biddle

Charlie Biddle et Oliver étaient sans contredit l’âme du festival de Jazz de Montréal.

« J’ai commencé à jouer du piano parce que mon père était pianiste amateur. Il étudiait la théorie et la voix. Pendant la journée, quand ma mère voulait faire le ménage, elle m’attachait sur une chaise devant le piano. Elle dit que j’y tapochais pendant des heures sans la déranger. Ma sœur aînée me raconte que, quand j’ai eu trois ans et demi, ils se sont rendu compte que je pouvais jouer les pièces que j’entendais à la radio. »

Le père d’Oliver chantait des hymnes religieux et jouait beaucoup de Bach. Très jeune, Oliver « pouvait plus ou moins les jouer » lui aussi. Il a donné son premier concert à l’âge de cinq ans dans son église et a commencé à suivre de véritables cours à l’âge de huit ans avec sa deuxième professeure, la sœur d’Oscar Peterson, Daisy. La famille Peterson habitait à neuf portes de chez lui.

« J’avais seulement trois ou quatre ans quand j’ai entendu jouer Oscar pour la première fois, et il m’a laissé une impression indélébile. Nous fréquentions la même église, l’Église unie, sur la rue Atwater. Quand j’avais 11 ans, Oscar est parti aux États-Unis pour jouer au Carnegie Hall (son premier concert majeur). Je dirais qu’après, je pensais : Oscar l’a fait; c’est maintenant ton tour, Oliver. »

Oliver Jones et Bob Hope

Oliver a joué à Porto Rico durant près de deux décennies devant des personnalités comme Bob Hope et Loretta Young.


Oliver Jones et la soeur d'Oscar Peterson, Daisy

Oliver a commencé les leçons de piano à l'âge de huit ans, avec la soeur d'Oscar Peterson, Daisy, photographiés ici. La famille Peterson vivait à neuf portes de celle d'Oliver.

 
Oliver a reçu six doctorats honorifiques au cours de sa vie. À droite, Oliver accepte l'Ordre du Canada, l'un des nombreux prix prestigieux qu'il a reçus.

Oliver a reçu six doctorats honorifiques au cours de sa vie.

À droite, Oliver accepte l'Ordre du Canada, l'un des nombreux prix prestigieux qu'il a reçus.

Oliver a bel et bien suivi les traces d’Oscar, mais il lui a fallu plus de temps pour trouver son erre d’aller. « C’aurait pu tout aussi bien mal tourner pour moi, raconte-t-il. Les cinq gars qui vivaient en dessous de chez moi ont fait des séjours en prison toute leur vie. Je pense que la discipline qu'il y avait à la maison a été un aspect important de mon éducation. À l’époque, les jeunes garçons noirs n’avaient pas beaucoup de perspectives d’avenir, à part finir leur secondaire et devenir bagagistes comme leur père. Il n’y a rien de mal à être bagagiste, mais c’était la seule avenue. Mes parents étaient stricts au sujet de l’école et cette exigence, combinée au sport et à la musique, m’a maintenu sur le droit chemin. J’ai d'ailleurs couru dans des compétitions d’athlétisme pour la province de Québec au début des années 50 et j’ai beaucoup aimé cela. »

À l’âge de dix ans, Oliver a formé un groupe qui jouait dans les églises, les hôpitaux et les prisons, et à la fin de l’adolescence, il a déménagé à Valleyfield, où la scène musicale était en effervescence et où il a appris le français et rencontré sa femme, Monique.

« Mon père voulait que je sois comptable, et il a engagé plusieurs tuteurs pour que je le devienne, mais ma passion, c’était la musique. Il me disait toujours qu’il était impossible de mener une carrière de musicien, mais vous savez, il était toujours le premier dans l’auditoire. Il disait à tout le monde qu’il m’avait transmis son talent, et ma mère levait les yeux au ciel. Il y a huit ans seulement, j’ai découvert que le père de ma mère était un organiste doué et qu’avec ma mère et ses filles, il faisait des tournées de chant dans les Îles. Elle ne nous en a jamais parlé. »

Oliver s’est vite retrouvé au Rockhead’s Paradise de Montréal, une boîte de nuit pour l’élite noire. « C’était vers 1951, 1953. Nous jouions pour des danseuses comme Eartha Kitt et pour la plupart des chanteurs noirs célèbres aujourd’hui, comme Ella Fitzgerald et Sarah Vaughan. C’étaient les meilleurs spectacles pour les Noirs à Montréal, et probablement au Canada. J’avais 18 ou 19 ans quand j’ai commencé à y remplacer le pianiste le lundi soir. On gagne beaucoup d’expérience à jouer avec des musiciens plus âgés quand on est assez intelligent pour écouter ce qu’ils ont à dire. »

Oliver et Monique se sont mariés en 1958 et leur fils unique, Richard, est né un an plus tard. « C’est probablement ma meilleure création. Je n’ai jamais rien fait de plus important ni de plus fantastique que mon fils. »

Murale

Une peinture murale de Oliver a été dévoilée deux jours après son 80e anniversaire, en septembre 2014. Cet hommage à la longue carrière musicale de Oliver est situé à l'intersection des rues Lionel-Groulx et Georges-Vanier, au cœur du quartier historique du jazz à Montréal.

Il a fait sa première grande percée quand il a obtenu un contrat à Puerto Rico, au sein du trio de Kenny Hamilton. Il y est

resté près de deux décennies. « Le mode de vie y était complètement différent. C’était l’endroit où il fallait être aux alentours de 1963. C’était en pleine ébullition. Dans le public, on voyait des gens comme Bob Hope et Loretta Young. Je suis devenu très couru comme répétiteur vocal, et aussi auprès de nombreux jeunes chanteurs. J’adorais ça! »

Oliver a fini par rentrer à Montréal, où il s’est associé à Charlie Biddle et au Festival de jazz de Montréal. Sa carrière a alors pris de l’essor au Canada, où il s’est bâti la réputation de géant du jazz qui lui est acquise aujourd’hui. Il se consacrait à donner des concerts à guichets fermés partout au pays et dans le monde. Il est également devenu l’ambassadeur culturel du Canada, a enregistré ses albums, commencé à enseigner et siégé à divers conseils d’administration, y compris ceux des Universités McGill, Concordia et Laurentienne.

Oliver et son groupe terminent maintenant leur tournée d’adieu dans des salles toujours pleines.

« J’ai accumulé beaucoup d’excellents souvenirs, confie Oliver, qui est maintenant âgé de 82 ans et qui a subi un triple pontage l’an dernier. Je suis vraiment reconnaissant aux gens qui m’ont soutenu tout au long de ma carrière. Je suis très heureux de redonner à toutes les causes dans lesquelles je m’investis, y compris celle de l’Hôpital de Lachine en novembre. C’est un sentiment merveilleux, et j’en suis très honoré. Je me dis souvent que je ne sais pas pourquoi j’ai été si chanceux et si béni. »

Si vous lui demandez pourquoi il arrête, il vous répondra qu’il a toujours dit que le jour où il ne pourrait plus jouer à 100 %, il serait temps de faire ses adieux.

« Je n’ai aucun regret, affirme Oliver. J’ai joué pendant 76 merveilleuses et exceptionnelles années. »

CONCERT D’OLIVER JONES POUR L'HÔPITAL DE LACHINE

Un peu comme Oliver, l’Hôpital de Lachine a des origines modestes et a toujours été au cœur de sa communauté. La Fondation de l’Hôpital de Lachine, créée en 1976, amasse des fonds afin d’acheter l’équipement moderne nécessaire pour améliorer la qualité des soins aux patients. La Fondation est honorée de présenter un concert-bénéfice donné par Oliver Jones, l’un de ses derniers avant son départ à la retraite.

Ne ratez pas le concert d’Oliver Jones à L’Entrepôt

2901, boul. Saint-Joseph, Lachine, H8S 2P4

Le jeudi 17 novembre, 20 h

Billets : 95 $

Il n’y aura pas de billets en vente à l’entrée.

Les places sont limitées.

Téléphonez à la Fondation,

au 514 637-2351, poste 77333,

pour réserver vos billets dès aujourd’hui.