« Voix du cœur », le témoignage des autochtones à l’honneur

Une initiative novatrice entre le CUSM et le Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie James vise à améliorer la qualité des soins des patients autochtones.

Le mardi 19 novembre dernier, autochtones et allochtones se rassemblaient à l’exposition « Voix du cœur » au salon Livingston de l’Hôpital général de Montréal. Ce fut une rencontre des plus mémorables soulignant les puissants récits de l’expérience vécue par les patients autochtones, leur résilience et leur créativité. Un projet de recherche utilisant l’approche du Photovoice et un projet d’amélioration continue de la qualité intitulé MEPA (Mesure de l’expérience patient autochtone) ont été menés par ces deux équipes dans le but de tisser des relations de confiance visant à mieux comprendre le vécu des patients et de travailler avec eux pour améliorer la qualité des soins.

Mieux mesurer l'expérience des patients autochtones

Il s’agit d’une initiative novatrice entre le bureau de la qualité, l’Institut de recherche du CUSM et le Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie James (CCSSSBJ). Un des points de départ du projet était la nécessité de bien mesurer l’expérience des patients autochtones et donc de favoriser l’expression de ces derniers. « Aujourd’hui, il n’est plus question de définir soi-même les critères de la recherche et de les imposer du haut vers le bas. Il faut que les critères proviennent des communautés concernées », nous dit la Dre Romina Pace, médecin interniste et chercheure de l’institut. « L’idée d’utiliser la photographie nous a d’ailleurs été suggérée par le CCSSSBJ qui y voyait une excellente façon d’amorcer un dialogue authentique. C’est à ce moment que le projet se met en marche avec le comité du bureau de l’expérience patient qui s’occupe en particulier des autochtones. »

La photographie comme support à l'expression

« Il s’agissait de partir de la photographie pour amener les patients à nous confier leurs préoccupations, leurs expériences pour mieux mesurer la façon dont ils vivent les soins prodigués dans nos grands centres hospitaliers urbains desquels ils sont généralement si éloignés, autant d’un point de vue physique que culturel », ajoute-t-elle. L’exposition est donc composée d’un amalgame de photographies et de puissants témoignages des autochtones.

"Ma mère descend toujours avec moi... elle a peur de connaître la perte et l'injustice comme sa mère... quand elle est revenue à la maison, tous les enfants du village étaient partis et c'était le calme plat. Tout ce dont elle se souvient, c'est que les femmes pleuraient et criaient tandis que les hommes étaient en colère et ne comprenaient pas ce qui s'était passé.."

Des témoignages puissants

L’événement faisait aussi place aux témoignages vivants, teintés d’émotion, de plusieurs membres des communautés Crie et Inuite. Présentée par Colleen Timm, PDGA du CUSM, la période des allocutions a fait place aux témoignages de Jade Mukash, de Nancy Shecapio Blacksmith, de Raymond Spencer ainsi que de Joshua Arngak de Kangiqsujuaq.

« Comme tout le monde, on attend souvent dans l’incertitude et dans l’inquiétude avant de consulter », a confié Jade Mukash, petite fille de l’ancien chef Matthew Mukash et qui travaille aussi comme technicienne administrative au CCSSSBJ. « Lorsqu’on se décide à le faire, si notre condition ne peut être prise en charge par l’hôpital local, il faut compter sur un long voyage. J’habite à Whapmagoostui qui est environ à une heure d’avion de Chisasibi. De Chisasibi, cela nous en prend encore 3 heures pour arriver à Montréal. Lorsqu’on arrive finalement à l’hôpital, on a déjà une grande fatigue accumulée. À cela s’ajoute le temps d’attente, souvent passé loin de chez nous, à espérer un diagnostic concluant parfois difficile à obtenir. Ce sont des choses qu’il faut absolument prendre en compte lorsqu’on essaie de comprendre notre réalité », a-t-elle ajouté.

« Les autochtones ont longtemps été les laissés pour compte du réseau de la santé », nous a dit Nancy Shecapio Blacksmith, directrice des soins infirmiers du CCSSSBJ. « Mais depuis quelque temps déjà, des progrès significatifs ont été accomplis. Le dévouement du comité de mesure de l’expérience patient autochtone et des membres du projet de recherche a d’ailleurs été extraordinaire et je peux témoigner du fait qu’il n’est pas passé inaperçu dans nos communautés. Les récits de l’exposition sont touchants et authentiques. Dans le chemin qui mène au changement, l’écoute joue un rôle central et il faut féliciter la démarche. »

Raymond Spencer, de Chisasibi, nous a aussi livré un témoignage teinté d’émotion de son expérience. Atteint de leucémie, il nous a raconté à quel point il peut être difficile, lorsqu’on est loin de chez soi de faire face à toute l’incertitude qui entoure des traitements complexes.

Enfin, Joshua Arngak, conseiller spirituel inuit du centre de santé Ullivik, nous a parlé des difficultés que vivent les Inuits qui doivent séjourner dans les grands centres urbains. C’est lui qui a conclu les présentations en nous récitant une prière en inuktitut.

Des bouchées, inspirées de la cuisine traditionnelle autochtone et conçues par le traiteur mohawk Messy kitchen étaient aussi offertes.

 

Caterina Staltari, infirmière et conseillère en partenariats de soins culturellement sécurisants au CUSM, était très satisfaite de la soirée. « Dans le cadre du projet de la mesure de l’expérience autochtone, j’ai eu le privilège d’écouter une vingtaine de personnes autochtones de même que des cliniciens, partenaires et alliés et je tiens à vous dire combien chaque histoire m’a touchée personnellement et professionnellement et me fait grandir. Je crois que les patients autochtones sont admirablement résilients, généreux et ils ont courageusement livré leurs témoignages. Cette exposition est donc le fruit de relations de confiance qui se sont tissées avec le temps, le respect et la bienveillance avec pour objectif de bâtir avec ces personnes des soins mieux adaptés et culturellement sécurisants », nous a-t-elle avoué. « La poète innue Joséphine Bacon écrivait : « Quand une parole est offerte, elle ne meurt jamais ; ceux qui viendront l’entendront. », a-t-elle ajouté. « En toute humilité, je crois que ces mots encapsulent l’essence même de notre exposition. »