Les années à venir seront critiques pour la lutte contre le virus de l'hépatite C

Au cours des cinq dernières années, de nouveaux médicaments ont révolutionné le traitement de l’hépatite C (VHC), un virus qui entraine une grave maladie du foie. Désormais plus sécuritaires et efficaces, ces médicaments ravivent l’espoir d’arriver un jour à éliminer le VHC de la liste des problèmes de santé publique. Mais de nombreux défis persistent : accès au traitement limité, diagnostics insuffisants, coût des médicaments très élevé, sans compter la co-infection du VIH-VHC, une épidémie en croissance qui accélère la maladie du foie. À l’occasion de la Journée mondiale contre l’hépatite (28 juillet) nous nous entretenons avec Dre Marina Klein, directrice de la recherche au Service des maladies virales chroniques du Centre universitaire de santé McGill et professeure de médecine à l’Université McGill, au sujet de la situation actuelle et de ses recherches portant sur les patients qui vivent avec le VIH et l’hépatite chronique.

Pour la première fois, nous entrevoyons la possibilité de contrôler la propagation de l’hépatite C, et même de l’éradiquer dans certaines populations. — Dre Marina Klein
Dre Marina Klein
Dre Marina Klein (Photo : Klaudia Bednarz, Blueberry Studios)

Comment attrape-t-on l’hépatite C?

L’hépatite C est un virus transmis par le sang. Au Canada, il est à l’heure actuelle principalement contracté par l’injection de drogues, alors qu’avant les années 1980 on l’attrapait par l’entremise de transfusions de sang contaminé. À l’échelle mondiale, entre 130 et 150 millions de personnes souffrent d’hépatite C.

Nous entendons beaucoup parler du VIH, mais relativement peu de l’hépatite. Est-ce justifié?

Nous avons atteint un seuil où beaucoup plus de décès à travers le monde sont causés par l’hépatite virale B ou C que par le VIH ou la tuberculose.

En Amérique du Nord, les données indiquent que les décès dus au VIH ont diminué grâce aux traitements. Par contre, nous entrons dans une phase critique où nous verrons plus de gens souffrir d’hépatite C. Comme les personnes infectées peuvent demeurer asymptomatiques durant des décennies avant de développer des lésions graves et que le pic des infections a eu lieu dans les années 70 et 80, il faut s’attendre à ce que plus de gens commencent à devenir très malades.

À quel point le nouveau traitement de l’hépatite C est-il révolutionnaire?

Les médicaments offerts sur le marché depuis cinq ans sont nettement plus efficaces et sécuritaires que les précédents. Ils parviennent à guérir plus de 90 % des gens en trois mois, et ce sans injections ni effets secondaires, et indépendamment de la gravité de la maladie du foie. Les études démontrent même que les personnes qui ont une cirrhose peuvent en bénéficier au point de ne pas nécessiter de greffe. Cependant, les personnes guéries peuvent être réinfectées si elles ne modifient pas leur style de vie.

Si le traitement est si efficace, comment se fait-il que plus de gens ne soient pas guéris?

Les traitements sont encore extrêmement coûteux. Pour un traitement qui dure 12 semaines, il faut compter environ 50 000 $. Les prix baissent progressivement en raison de la concurrence et de l’arrivée de nouvelles molécules sur le marché, mais ils demeurent beaucoup trop élevés pour envisager de pouvoir traiter tout le monde. Cela entraine des restrictions quant à déterminer qui peut être traité. Il faut souffrir de dommages considérables au foie pour pouvoir accéder au traitement. Le problème est que les transmetteurs du virus sont souvent des personnes plus jeunes qui viennent de le contracter, et ceux-ci ne sont pas admissibles au traitement.

D’un côté, vous devez traiter les personnes qui sont très malades, et de l’autre, vous devez prévenir la propagation de l’infection. Comment résoudre ce dilemme?

Il nous faut adopter une vision beaucoup plus large de la santé publique. L’Inde et le Pakistan ont par exemple augmenté la production de génériques de ces médicaments, ce qui a réduit le coût de chaque traitement à moins de 500 $. Le coût réel de fabrication de ces médicaments est en réalité très bas, autour de 250 $. L’Australie, pour sa part, a négocié en tant que pays avec des sociétés pharmaceutiques afin d’établir des modèles de prix avantageux, de sorte que plus on traite de cas, plus les prix baissent. Par conséquent, ils peuvent offrir le traitement à tous.

La province de Québec a adopté une approche intermédiaire : traiter les plus malades d’abord, puis à mesure que ceux-ci sont guéris, élargir l’accès. Ceci amortit le coût sur un certain nombre d’années, mais beaucoup de gens n’ont toujours pas accès au traitement.

Vous avez récemment reçu une subvention des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) pour financer votre programme de recherche, la Cohorte canadienne de co-infection, sur la co-infection du VIH et de l’hépatite C. Cette double infection est-elle courante?

On estime que parmi les 75 000 Canadiens qui sont infectés par le VIH, environ 30 % sont co-infectés par l’hépatite C. On remarque une épidémie croissante de co-infection au sein des communautés autochtones, notamment en Saskatchewan et au Manitoba.

Quel est l'objectif principal de votre programme de recherche?

Ma recherche porte sur l’impact du nouveau traitement de l’hépatite C sur la santé des personnes co-infectées. Nous examinerons non seulement comment les deux virus interagissent, mais aussi l’impact des caractéristiques sociales sur le traitement. Nous suivons plus de 1500 personnes recrutées parmi 18 centres hospitaliers ou communautaires à travers le Canada.

À quels défis font face les personnes co-infectées?

D’abord, le VIH accélère la progression de l’hépatite C. Cela signifie que les gens ayant les deux infections risquent d’être atteints plus rapidement de lésions au foie et de cirrhose, puis éventuellement de mourir à cause ces dommages 

Des facteurs socio-économiques et démographiques sont également liés à la contraction de ces infections. L’hépatite C peut proliférer au sein de populations qui n’ont pas l’habitude de se faire tester et qui ont un accès limité au traitement, telles que les utilisateurs de drogues injectables ou les peuples autochtones.

Enfin, il y a les stigmates associés au VIH et à l’hépatite C, deux maladies infectieuses associées à l’utilisation de drogues par injection. Il ne s’agit donc pas que de pharmacologie mais aussi d’éducation. En Saskatchewan, nous travaillons en partenariat avec la réserve locale pour élaborer un modèle de soins pouvant répondre à la réalité de la communauté tout en assurant les soins à ceux qui en ont besoin. Les communautés y sont très favorables.

Ainsi, la mobilisation est essentielle. Que peut-on faire d’autre pour éradiquer le VHC au Canada?

Nous travaillons avec le Réseau canadien sur l’hépatite C (CanHep C) pour conscientiser la population et sensibiliser le gouvernement fédéral à l’importance de prévenir le VHC et d’améliorer la santé des Canadiens. La ministre de la Santé du Canada a récemment réaffirmé son engagement à développer un cadre national pour l’élimination de l’hépatite C, et cela est très positif. Nous espérons que le leadership démontré au fédéral encouragera les provinces à travailler dans le même sens.

Le saviez-vous?

En mai 2016, l’Assemblée mondiale de la Santé a adopté sa première « Stratégie mondiale du secteur de la santé sur l’hépatite virale, 2016 à 2021 », visant à éliminer l’hépatite virale en tant que problème de santé publique en réduisant les nouvelles infections de 90 %et les décès dus à l’hépatite virale de 65 % d’ici 2030