Les soirées et les nuits à l'urgence de l'HRV

« Le travail à l’urgence nous apprend à mettre la vie en perspective. Il nous apprend à choisir nos combats et à nous estimer chanceux. » C’est là un aperçu de l’état d’esprit de Dolores Dandrade, qui travaille à l’urgence de l’Hôpital Royal Victoria (HRV) du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) depuis 23 ans.

Arriver à l’urgence, c’est un peu comme entrer dans une nouvelle dimension. Tout est traité différemment, tout est perçu sous un angle unique. L’équipe s’affaire sans relâche à sauver des vies, et chaque quart de travail comporte ses défis. Comme l’expliquent Dolores et Kris Kourakis, infirmière depuis 20 ans, il faut un certain type de personne pour travailler à l’urgence, et une « espèce » particulière d’infirmière pour faire les quarts de soir et de nuit.

Dolores Dandrade et Kris Kourakis
Dolores Dandrade et Kris Kourakis
Nous faisons des analyses sanguines et ce genre de choses, mais Les véritables soins infirmiers reposent sur le lien qu’on tisse avec certains patients. - Kris Kourakis

La vie nocturne en soins infirmiers

« La nuit, il y a moins de ressources, moins de médecins, moins de personnel de soutien, mais nous sommes là les uns pour les autres, nous nous épaulons, et c’est ce qui compte. Nous sommes très unis », explique Dolores, qui a travaillé de nuit pendant la majeure partie de sa carrière et qui nous confie que la nuit, elle s’épanouit.

« Nous travaillons ensemble dans des situations très difficiles. Nous voyons les gens pleurer, nous les voyons mourir, c’est beaucoup de stress, raconte Agathe Lapointe, une infirmière qui travaille au CUSM depuis cinq ans, dont trois à l’urgence. Le personnel forme une sorte de famille. On est toujours là les uns pour les autres. »

Matti McNicol et Gabrielle Garrel
Matti McNicol et Gabrielle Garrel

Agathe admet qu’il peut être très difficile de commencer à travailler à l’urgence. Comme on y voit toutes sortes de cas, le processus d’apprentissage et de partage des compétences liées aux diverses maladies n’arrête jamais.

« Il faut un certain temps pour que les choses soient organisées dans notre tête malgré le chaos organisé autour de nous », déclare-t-elle.

Elle a toutefois vite découvert qu’il y aurait toujours quelqu’un pour lui apporter du soutien.

« Les infirmières plus expérimentées, comme Dolores et Kris, offrent beaucoup d’aide. Si vous posez des questions, vous ne serez jamais perçu comme quelqu’un qui ne sait pas où il s’en va. On vous encourage à apprendre et à progresser. »

Selon Agathe, dans les cas urgents, tout le monde se mobilise pour voir s’il faut donner un coup de main.

« Nous sommes un énorme hôpital, et nous recevons des cas plutôt intenses, dit-elle. C’est toujours achalandé, décrit Agathe. Mais c’est fou comme tout le monde converge et passe à l’action à l’arrivée d’un cas. On n’est jamais laissé seul. J’ai des frissons quand je pense à la manière dont on travaille. C’est vraiment extraordinaire. »

Agathe Lapointe et Gabrielle Garrel
Agathe Lapointe et Gabrielle Garrel
J’ai des frissons quand je pense à la manière dont on travaille. C’est vraiment extraordinaire. - Agathe Lapointe

Dolores admet que ça peut être difficile. À l’urgence, les infirmières voient les patients sous leur plus mauvais jour. Elle pense souvent à sa propre famille et à ses quatre adolescentes, surtout lorsqu’elle soigne de jeunes patients. C’est cette empathie qui lui permet d’effectuer son travail avec tant d’efficacité.

« Vous ressentez la douleur des gens. Plusieurs ne peuvent pas l’endurer et s’épuisent. Ils la rapportent chez eux. J’ai pleuré avec mes patients, j’ai pleuré en les quittant et j’ai pleuré deux semaines plus tard en pensant à eux, avoue-t-elle. Mais c’est correct. Tant que ça n’a pas d’effet sur moi à long terme et que ça n’empiète pas sur ma famille, mes enfants ou ma santé. Je mets les choses en perspective », explique-t-elle.

Kris, se donne une règle simple : l’équilibre.

« On accumule un tas d’adrénaline et d’émotions, mais une fois que c’est terminé, il faut prendre soin de soi. J’ai toujours cette conversation-là avec les jeunes infirmières. Il faut prendre les mesures qui s’imposent pour demeurer en santé », insiste-t-elle.

Vaincre les obstacles

Tout le monde sait que le personnel de l’urgence de l’HRV travaille sans arrêt afin de répondre à l’arrivée constante de patients qui se présentent pour toutes sortes d’urgences médicales.

Kris et Dolores conviennent en toute honnêteté de la complexité de leur travail. Il faut jongler avec les tâches exigées, voir aux besoins d’un maximum de patients (le plus vite possible) tout en s’assurant d’écouter et de soigner les patients frustrés ou contrariés.

Agathe Lapointe et Kris Kourakis
Agathe Lapointe et Kris Kourakis

« On accumule un tas d’adrénaline et d’émotions, mais une fois que c’est terminé, il faut prendre soin de soi. - Kris Kourakis

« Avec les patients, je ne dore pas la pilule. Il faut être gentil, mais vrai avec eux, croit Dolores. J’ai déjà eu à m’occuper d’une dame qui venait de recevoir un diagnostic de cancer du pancréas. Je suis allée dans sa chambre et je lui ai demandé : “Comment allez-vous aujourd’hui? ” Elle m’a répondu : “Pas trop bien.” »

La femme a ensuite raconté à Dolores qu’elle allait mourir et qu’elle se sentait complètement déprimée.

« Je lui ai répondu : “Écoutez un peu. Chaque jour, chacun d’entre nous se rapproche de la mort. Nous allons tous mourir. Ce qui est important, c’est ce que nous faisons du temps qu’il nous reste.” Je lui ai demandé si on lui avait expliqué les choix qu’elle avait, les traitements, et elle m’a répondu oui. Je lui ai dit qu’elle n’était pas seule, qu’elle avait de la famille dans sa chambre, des gens qui l’aimaient et qui l’aideraient dans son épreuve. Certains n’ont personne. Elle m’a regardée et s’est mise à pleurer. Elle m’a remerciée. Plus tard, elle m’a apporté des fleurs et du chocolat », se rappelle Dolores.

« Vous voyez, cet exemple démontre ce que sont les véritables soins infirmiers. Nous faisons des analyses sanguines et ce genre de choses, mais les véritables soins infirmiers reposent sur le lien qu’on tisse avec certains patients, ajoute Kris. C’est la capacité d’appréhender leur situation, de la retourner et de la leur montrer sous un nouvel angle. On ne peut pas le faire avec tous les patients de l’urgence, mais on essaie. »

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