Biofilms — L'éradication a commencé

Des chercheurs canadiens développent une nouvelle technologie utilisant des enzymes afin de combattre les biofilms

Des chercheurs canadiens développent une nouvelle technologie utilisant des enzymes afin de combattre les biofilms
De gauche à droite : Brendan D. Snarr et Donald C. Sheppard de l’IR-CUSM et P. Lynne Howell, Natalie C. Bamford et Perrin Baker de SickKids.

Montréal – Avez-vous déjà entendu parler des biofilms? Ce sont des pellicules visqueuses semblables à de la colle qui sont produites par des micro-organismes, comme les bactéries et les champignons, pour coloniser des surfaces. Ils peuvent se développer sur des tissus animaux et végétaux, et même sur des dispositifs médicaux à l’intérieur du corps humain comme des cathéters, des valves cardiaques ou des prothèses de hanches. Les biofilms protègent les micro-organismes contre le système immunitaire et augmentent leur résistance aux antibiotiques. Il s’agit de l’une des plus importantes menaces pour les patients en milieux hospitaliers. Il y a cependant de bonnes nouvelles : des chercheurs de l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR‑CUSM) et The Hospital for Sick Children (SickKids) ont mis au point une nouvelle technologie utilisant des enzymes qui empêche la formation des biofilms et peut même les détruire.

Formation d’un biofilm à partir d’un champignon

Formation d’un biofilm à partir d’un champignon

Le champignon Aspergillus fumigatus secrète une molécule de sucre gluante (visible via la technique d’imagerie microscopique comme une gaine filamenteuse) afin de créer un biofilm qui contribue à sa virulence. Le biofilm recouvre le champignon et lui permet de s’accrocher aux surface et tissus, le rendant difficile à éliminer et à traiter l’infection chez les patients. Les chercheurs ont mis au point une technologie innovante visant à détruire ces biofilms.

Cette découverte, qui a récemment fait l’objet d’une publication dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), ouvre une avenue prometteuse pour l’élaboration de stratégies novatrices visant à traiter une panoplie de maladies et d’infections nosocomiales comme les pneumonies, les infections sanguines ou urinaires. Chaque année en Amérique du Nord, les infections liées aux biofilms sont responsables de milliers de décès. Les biofilms sont difficiles à éradiquer parce qu’ils sécrètent une matrice faite de molécules de sucre, qui forme un genre d’armure agissant comme une barrière physique et chimique, et empêche les antibiotiques d’atteindre leurs cibles à l’intérieur du microbe.

« Nous avons utilisé les armes des micro-organismes pathogènes contre eux pour attaquer et détruire les molécules de sucre qui assurent la cohésion des biofilms », explique l’un des chercheurs principaux de l’étude, le Dr Don Sheppard, directeur de la division des maladies infectieuses au CUSM et scientifique pour le Programme des maladies infectieuses et immunité en santé mondiale à l’IR-CUSM. « Au lieu d’essayer de viser directement les micro-organismes en particulier, nous les rendons vulnérables en attaquant le biofilm qui les protège. En d’autres termes, nous démantelons littéralement l’armure pour exposer les organismes. C’est une stratégie d’attaque totalement inédite. »

Ces travaux sont le résultat de quatre années de collaboration fructueuse entre l’équipe du Dr Sheppard et les scientifiques du laboratoire dirigé par la Dre P. Lynne Howell, chercheuse du Programme de recherche de médecine moléculaire au SickKids. Les deux groupes travaillent depuis de nombreuses années à combattre les biofilms, en s’intéressant tout particulièrement à deux des organismes les plus communs responsables des infections pulmonaires : une bactérie appelée Pseudomonas aeruginosa et un champignon appelé Aspergillus fumigatus. Traiter efficacement les infections causées par ces organismes chez les patients atteints de maladies pulmonaires chroniques, telle que la fibrose kystique représente un énorme défi en santé.

En étudiant le mécanisme utilisé par ces organismes pour fabriquer leurs biofilms, les chercheurs ont découvert des enzymes qui coupent les molécules de sucre servant à former les biofilms. « Les micro-organismes utilisent ces enzymes pour déplacer les molécules de sucre et les couper en morceaux dans le but de construire et de remodeler la matrice du biofilm », explique le Dr Sheppard, qui est aussi professeur aux départements de médecine, de microbiologie et d’immunologie à l’Université McGill. Les chercheurs ont trouvé un moyen d’utiliser ces enzymes pour dégrader l’« armure de sucre », exposant ainsi le micro-organisme pathogène aux antibiotiques et aux défenses immunitaires de l’hôte.

 « Nous avons transformé ces enzymes en une sorte de machine incontrôlable destructrice de biofilm que nous utilisons à l’extérieur du micro-organisme, là où se trouvent les molécules de sucre », explique l’auteur principal de l’étude Brendan Snarr, étudiant au doctorat au laboratoire du Dr Sheppard. « Ces  enzymes dévorent toutes les molécules de sucre qu’elles trouvent sur leur chemin et ne s’arrêtent pas tant que la matrice n’est pas détruite. »

« Les précédentes tentatives pour s’attaquer aux biofilms n’ont eu qu’un succès limité, essentiellement en empêchant la formation du biofilm, ajoute le Dr Sheppard.  Ce traitement d’enzymes est la toute première stratégie qui s’est montrée efficace pour éradiquer les biofilms matures, et qui donne des résultats avec des modèles de souris infectées. » 

« Quand nous avons pris les enzymes des bactéries et que nous les avons appliquées aux champignons, nous avons découvert qu’elles agissaient de façon identique sur le biofilm du champignon, ce qui était surprenant! », affirme la Dre P. Lynne Howell, également une des chercheuses principales de l’étude et professeure au département de biochimie de l’Université de Toronto. « L’essentiel, c’est que cette approche pourrait être une avenue universelle pour mobiliser les propres systèmes de dégradation des biofilms des micro-organismes, et avoir de grandes retombées pour de nombreux micro-organismes, maladies et infections. »

« Plus de 70 % des infections nosocomiales sont associées aux biofilms et on manque tout simplement de moyen pour les traiter! » dit le Dr Sheppard. Selon les deux auteurs principaux de l’étude, le potentiel de ce nouveau traitement enzymatique est énorme et ils espèrent le commercialiser au cours des prochaines années.

Développement du biofilm d'un champignon

Le biofilm se développe sur le champignon Aspergillus fumigatus (en rouge) dans cette vidéo en time-lapse de 20 heures. Le biofilm recouvre le champignon et lui permet de s’accrocher aux surface et tissus, le rendant difficile à éliminer et à traiter l’infection chez les patients.

Credit: Brendan Snarr, Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill

Au sujet de l’étude

Les travaux de cette études ont été rendus possible grâce au soutien  financier des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), Fibrose Kystique Canada, ainsi que par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG),  le Fonds de recherche Quebec santé (FRQS) et la Fondation SickKids. 

Le Dr Howell et la Dre Sheppard sont également des chercheurs Canadian Glycomics Network (GlycoNet), un des Réseaux de centres d'excellence du Canada qui a également soutenu financièrement ces travaux.  

Pour en savoir plus, consultez l’étude. DOI: www.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.1702798114 PNAS

À propos de l’IR-CUSM

L’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM) est un centre de recherche de réputation mondiale dans le domaine des sciences biomédicales et de la santé. Établi à Montréal, au Canada, l’Institut, qui est affilié à la faculté de médecine de l’Université McGill, est l’organe de recherche du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) – dont le mandat consiste à se concentrer sur les soins complexes au sein de sa communauté. L’IR-CUSM compte plus de 460 chercheurs et près de 1 300 étudiants et stagiaires qui se consacrent à divers secteurs de la recherche fondamentale, de la recherche clinique et de la recherche en santé évaluative aux sites Glen et à l’Hôpital général de Montréal du CUSM. Ses installations de recherche offrent un environnement multidisciplinaire dynamique qui favorise la collaboration entre chercheurs et tire profit des découvertes destinées à améliorer la santé des patients tout au long de leur vie. L’IR-CUSM est soutenu en partie par le Fonds de recherche du Québec – Santé (FRQS). ircusm.ca

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