Accouchements : vers une meilleure sécurité culturelle pour les femmes autochtones

Accoucher est à l’occasion une expérience déstabilisante. Imaginez maintenant être évacuée par avion après une grossesse à risque pour donner naissance à des centaines de kilomètres de chez soi, parfois sans le soutien de ses proches, afin de bénéficier des soins d’un hôpital spécialisé.

C’est ce que doivent vivre chaque année en moyenne 315 femmes autochtones du Nord-du-Québec qui viennent accoucher au Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Pour rendre ce passage plus aisé, le CUSM et ses partenaires des communautés crie et inuite mettront prochainement en place des mesures afin d’assurer une meilleure sécurité culturelle à ces patientes.

Malgré qu’elle vise à préserver la santé de la mère et du bébé, l’évacuation a un prix. Elle peut causer de la détresse psychologique, des problèmes d’allaitement, des difficultés d’alimentation ou une hausse de la consommation d’alcool ou de drogues. Certaines femmes en viennent à cacher leur grossesse aux autorités, tenter un accouchement seule à la maison ou quitter l’hôpital prématurément.

Revoir ses façons de faire

Le décès tragique de Joyce Echaquan à l’automne 2020 a causé une onde de choc auprès du personnel de la mission Santé des femmes du CUSM.

« Ce fut une dose de réalité. Entre collègues, nous nous demandions ce que nous pouvions faire », explique Mischa Corman-François, infirmière clinicienne au CUSM.

C’est ainsi que le Principe de Joyce, qui vise à garantir aux Autochtones un accès équitable et sans discrimination aux services sociaux et de santé, a été adopté au CUSM à l’automne 2021.

« Le projet de sécurité culturelle lors des accouchements permet de mettre concrètement en application le Principe de Joyce », ajoute Hilah Silver, infirmière clinicienne au CUSM.

Plusieurs changements seront donc adoptés au Centre des naissances du CUSM au cours de la prochaine année :

  • La politique de visite sera examinée afin de voir comment l’adapter pour permettre une plus grande présence familiale dans la salle d’accouchement. La naissance est un événement collectif important pour les communautés crie et inuite, et les membres de la famille jouent un rôle essentiel, notamment pour la transmission du savoir traditionnel.
  • Des réfrigérateurs, congélateurs et bouilloires seront mis à la disposition des familles pour qu’elles puissent apporter des aliments traditionnels.
  • Des formations sur la sécurité culturelle menées par des partenaires autochtones seront offertes au personnel. Elles comprendront des modules en ligne sur la santé périnatale crie et inuite, des exercices pratiques dirigés par des sages-femmes autochtones et une plateforme en ligne où des familles autochtones partageront des témoignages de naissances. Du matériel éducatif incluant des cartes des communautés et des mots-clés en inuktitut et en cri sera aussi développé.
  • En collaboration avec les partenaires autochtones, les pratiques traditionnelles, telles que la présence des aînés, les paquets de naissance, les cérémonies de purification et l’accès au placenta, seront favorisées. De l’art traditionnel autochtone pourra être installé dans les chambres pour fournir un environnement familier aux patientes.

« Les femmes ont besoin de leur nourriture, leur langue... Ça peut sembler simple, mais nous nous sommes rendues compte que ça ne faisait pas partie du système. Nous voulons faire mieux », mentionne Jennifer Pepin, infirmière gestionnaire du Centre des naissances et de l’unité de maternité du CUSM.

L’importance des partenaires

Ce projet est l’aboutissement de consultations menées auprès de familles inuites et leurs soignants montréalais par un comité formé de partenaires inuits. Les recommandations issues de ces consultations ont ensuite été validées auprès de membres de la communauté crie : mères, sages-femmes, médecins, etc.

Deux sages-femmes inuites et une médecin crie participeront au développement du programme de formation. Une mère crie et une mère inuite qui ont vécu une évacuation pour leur accouchement seront régulièrement consultées tout au long de l’implantation du projet. Finalement, les patientes et leur famille seront sondées à leur sortie de l’hôpital afin de s'assurer que le projet atteigne son but.

« Ma famille et moi avons rencontré de nombreuses situations que nous aurions aimé vivre chez nous au lieu d'être envoyés à Montréal pour obtenir de l'aide pour ma grossesse. Ce projet rendra l'expérience de la future maman et de sa famille dix fois plus confortable. J'ai eu la chance d'avoir les personnes que je voulais à mes côtés pendant mon accouchement, mais ce n'est pas le cas pour toutes les femmes inuites qui sont envoyées à Montréal », explique Paasa Lemire, patiente inuite partenaire du projet.

« Être envoyées à Montréal pour des raisons médicales n'est jamais facile pour les mères et les familles, surtout pour les nouvelles mamans. C'est toujours effrayant, mais les petites choses qui vont changer grâce à ce projet rendront la situation plus facile pour tout le monde. Je tiens à remercier tous ceux qui ont facilité ma grossesse lorsque j'ai été évacuée pour effectuer mon accouchement. Alors que je tiens mon fils de neuf mois dans mes bras, nous apprécions toute l'aide que ce projet a reçue », ajoute-t-elle.

« Ceci constitue un puissant changement dans notre façon de voir la naissance. J’ai hâte de pouvoir l’appliquer avec une patiente ! » souligne Mischa.

Le programme pourrait aussi servir de projet-pilote et être étendu aux autres cultures.

« Le Principe de Joyce ne vise pas à bénéficier seulement aux Autochtones, mais à tout le monde », résume Hilah.

Merci à la Fondation du CUSM et à la succession d’Herta Vodstrcil pour leur généreux don.