Pour les hémophiles, le meilleur traitement est à domicile
Le Centre de traitement de l’hémophilie du CUSM permet aux patients et aux patientes, allant des bébés jusqu’aux adultes, de se préparer pour le traitement à domicile afin qu’ils puissent vivre une vie active normale.
Lorsque Christian Zereik avait trois ans, il s’est mordu la langue. Comme il n’arrêtait pas de saigner, il a été amené à l’hôpital pour subir une transfusion sanguine et passer quelques tests. Le diagnostic est tombé : il souffrait d’hémophilie B sévère. Tout comme d’autres troubles de l’hémostase et de la coagulation congénitales, l’hémophilie est une maladie héréditaire. Il s’agit de la mutation d’un gène du chromosome X qui empêche le sang de coaguler et donc provoque un saignement après une blessure ou une chirurgie, ou même spontanément.
Les saignements dans les articulations et les tissus mous peuvent causer des douleurs extrêmes et de l’arthrite. Un saignement dans le cerveau peut mener à des crises convulsives, à la paralysie et même à la mort.
La maladie affecte les garçons en particulier. Puisque les bébés mâles reçoivent le chromosome X de leur mère et le chromosome Y de leur père, ceux qui reçoivent le gène muté ont 50 % de chance de devenir hémophile.
Les deux filles de Christian, Lexie et Annie, portent aussi le gène muté et sont considérées comme ayant une hémophilie légère. « Lorsque Lexie avait deux ans, elle est tombée du canapé et s’est cognée la tête, ce qui a provoqué un saignement entre son cerveau et son crâne. C’était le pire jour de ma vie, mais nous avons réagi rapidement, tout comme les équipes de l’Hôpital de Montréal pour enfants, et elle s’en est remise complètement. »
La famille suit ses traitements au Centre de traitement de l’hémophilie du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), une des quatre cliniques au Québec qui traite les adultes et les enfants souffrant d’une maladie héréditaire de la coagulation du sang.
« Depuis mon enfance jusqu’à l’âge adulte et même maintenant, en tant que parent avec deux enfants porteurs du gène et un neveu hémophile, les soins qui nous ont été apportés ici ont été incroyables. Le personnel de la clinique est merveilleux. »
« Le traitement de l’hémophilie est l’un des meilleurs exemples de soins médicaux du pays, dit l’hématologiste Dre Margaret (Molly) Warner. Au CUSM, nous avons une équipe complète de professionnels expérimentés, incluant des hématologistes, une infirmière attitrée et une physiothérapeute. »
Apprendre à s’autotraiter
À la clinique, une infirmière est également joignable en tout temps, mais selon la Dre Warner, les appels à l’aide la nuit sont rares.
« Nous apprenons aux patients à s’administrer, à la maison, la prophylaxie par voie intraveineuse, c’est-à-dire l’injection régulière de concentrés de facteurs de coagulation en vue de prévenir le risque de saignement. Comme ça, ils ont rarement besoin de venir à l’hôpital, explique-t-elle. Les infirmières du centre montrent aux parents comment traiter leurs jeunes enfants lors de leurs premiers 18 mois de vie. Lorsque les garçons ont entre 12 à 14 ans, ils sont envoyés à un camp de jour où ils apprennent à s’autotraiter. Un hémophile sévère pourrait devenir un hémophile modéré grâce au traitement à domicile, ce qui lui permettrait de vivre sa vie avec moins de risques de saignements spontanés. »
Christian adapte sa prophylaxie en fonction de son horaire, par exemple, il va se traiter avant de faire des activités physiques intenses, telles que faire du sport ou voyager.
« Nous insistons sur l’importance des casques et nous leur disons de faire attention, dit-il. Même si elles ne sont que porteuses, elles peuvent quand même saigner lors d’un accident, mais nous voulons tout de même qu’elles profitent de leur vie. »
« Cela permet d’améliorer ma qualité de vie, dit-il. Cela augmente mon taux de facteurs et me protège davantage. On ne sait jamais ce qui pourrait arriver lorsqu’on transporte des bagages ou qu’on porte ses enfants. »
Lexie et Annie ne s’administrent pas la prophylaxie, mais elles pourraient avoir besoin d’un traitement avant une chirurgie ou des soins dentaires. Christian et sa femme veulent que leurs filles soient actives, mais prudentes.
Une histoire tragique pleine de rebondissements
En 1999, le Dr Chris Tsoukas, directeur du Service d’immunologie clinique au CUSM et personne clé dans l’établissement d’une unité de traitement du VIH à l’Hôpital général de Montréal, a été nommé membre de l’Ordre du Canada en reconnaissance de sa carrière dévouée à la recherche et au traitement du VIH/sida. En compagnie de la Dre Molly Warner, une hématologiste au CUSM, ils se remémorent des moments clés de l’histoire tragique et mouvementée de l’hémophilie.
Jusqu’à la moitié des années 1940, : les hémophiles ne vivent pas longtemps. Leur seul traitement est l’administration de plasma frais congelé, qui ne contient pas la dose adéquate de facteur VIII (FVIII) ou IX (FIX). Plusieurs d’entre eux meurent de complications hémorragiques.
1963 : Frank Schnabel, un homme d’affaires montréalais né aux États-Unis souffrant d’hémophilie A sévère, crée la Fédération mondiale de l’hémophilie (FMH). Toute sa vie, Schnabel, qui était un patient du Dr Tsoukas à l’Hôpital général de Montréal, s’est battu sans relâche pour les droits des hémophiles partout dans le monde.
De la fin des années 1960 jusqu’au début des années 1970 : le cryoprécipité, un produit sanguin congelé, permet d’administrer le FVIII par voie intraveineuse plus rapidement et plus facilement. Cependant, dès le début des années 1980, il devient évident que le plasma et les cryoprécipités augmentent les risques d’infection par le VIH et l’hépatite C (VHC).
De la fin des années 1970 jusqu’au début des années 1980 : les concentrés de FVIII et de FIX dérivés du plasma, produits à partir de sang de milliers de donneurs deviennent accessibles. Au début, ces produits sont une découverte majeure, puisque les patients peuvent se traiter à domicile. Par contre, le VIH et le VHC sont encore inconnus, donc les produits dérivés du plasma ne sont pas traités ou testés pour ces virus. Environ 80 % des hémophiles sévères sont alors co-infectés par ces deux virus, et beaucoup d’entre eux meurent du VIH pendant les années 1980.
Vers la fin des années 1970 : la Dre Hanna Strawczynski crée le Centre de traitement de l’hémophilie (CTH) de l’Hôpital de Montréal pour enfants, fondé sur le concept des soins complets. Il s’agissait d’un des deux premiers centres de soins complets au Canada. Il existe maintenant 24 centres comme celui-ci, où des médecins, des infirmiers et infirmières, des physiothérapeutes et des travailleurs sociaux spécialisés donnent des soins complets.
1985 : le VIH avait été identifié en 1983. Maintenant, dès lors, des tests et des traitements thermiques sur les produits sanguins sont imposés afin de prévenir d’autres infections par le VIH. La découverte du VHC et le développement d’un test se feront vers la fin des années 1980 et le début des années 1990. L’hépatite C continue donc à être une menace pour les hémophiles.
Début des années 1990 : pour éliminer le risque de contamination virale, tous les produits de FVIII et de FIX au Canada sont remplacés par de tout nouveaux produits recombinants, qui depuis lors sont utilisés presque uniformément.
Une banque de données nationale anonyme est créée permettant le traitement rapide des patients et des patientes lors d’une urgence, et ce, peu importe où ils ou elles se trouvent.
Le futur : les traitements de l’hémophilie A et B pourraient connaître un changement positif grâce au développement de nouveaux produits qui peuvent être administrés de manière plus facile et efficace, et grâce à l’évolution de la thérapie génique pour le déficit en FIX.