Les complications maternelles graves à l’accouchement : un risque récurrent ?

Une nouvelle étude dresse un bilan clair de la santé maternelle au sein de la population du Québec

Montréal, le 31 août 2023 — Au Canada, quelque 1 à 3 % des femmes qui donnent naissance souffrent de complications graves à l’accouchement, notamment d’une hémorragie sévère ou d’une prééclampsie sévère. Après avoir traversé ces complications (appelées « morbidité maternelle grave »), plusieurs de ces femmes peuvent désirer concevoir à nouveau, mais voudraient connaitre les risques associés à une nouvelle grossesse ou un futur accouchement.

Une étude menée à l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM) et récemment publiée dans The American Journal of Obstetrics & Gynecology, fournit des données détaillées sur la récurrence des complications subies par ces femmes. L’étude, qui s’est penchée sur les grossesses enregistrées au Québec sur une période de 32 ans, révèle que ces femmes sont en effet trois fois plus susceptibles de souffrir d’une morbidité maternelle grave lors d’un deuxième accouchement que celles qui n’ont connu aucune complication sévère à leur premier accouchement.

La morbidité maternelle grave désigne des complications inattendues qui surviennent généralement en cours de travail ou à l’accouchement (ou dans les semaines précédentes ou suivantes) et qui ont de graves effets sur la santé et le bien-être des femmes à court ou à long terme. Assurer leur surveillance est devenu une priorité de santé publique pour améliorer la qualité des soins cliniques et la santé maternelle.

Dre Natalie Dayan
Dre Natalie Dayan

« La morbidité maternelle grave est liée à la mortalité maternelle et à une hospitalisation prolongée, mais jusqu’à présent on en savait peu sur la récurrence de ces complications lors d’un accouchement subséquent », dit la Dre Natalie Dayan, auteure principale de l’étude et scientifique au sein du Programme de recherche en santé cardiovasculaire au long de la vie de l’IR-CUSM. « Notre étude fournit des estimations quantitatives sur les complications maternelles lors d’un accouchement ultérieur et montre que le risque de récurrence de la morbidité maternelle grave est plus élevé pour les femmes ayant subi des complications cardiaques ou une rupture utérine lors d’un premier accouchement. »

« Ces connaissances vont permettre de conseiller les femmes sur les risques d’une future grossesse. Elles aideront également à planifier et à répartir les ressources pour la prise en charge des femmes qui souhaitent concevoir à nouveau », ajoute la Dre Dayan.

Constats détaillés d’une vaste étude de cohorte

Cette étude repose sur une cohorte populationnelle de 1 406 874 femmes qui ont été enceintes entre 1989 et 2021 au Québec. Son analyse porte sur les cas de 819 375 femmes ayant accouché au moins deux fois d’un enfant unique à l’hôpital durant cette période. Parmi elles, 25 873 (soit 3,2 %) ont subi une morbidité maternelle grave lors de leur premier accouchement.

Chez les femmes ayant déjà souffert d’une morbidité maternelle grave, le taux de récurrence de celle-ci au deuxième accouchement était de 65,2 pour 1 000, contre 20,3 pour 1 000 chez les femmes ayant été épargnées lors de leur premier accouchement.

Les complications cardiaques sous la loupe

Les scientifiques se sont aussi penchés sur les corrélations entre certaines complications lors du premier et du deuxième accouchement. Ceux-ci ont constaté que les femmes ayant subi des complications cardiaques à leur premier accouchement présentaient le plus haut risque de morbidité maternelle grave à l’accouchement suivant — soit un risque sept fois plus élevé que les femmes n’ayant pas vécu de complications à leur premier accouchement. Ils ont de plus observé que toute complication grave subie lors du premier accouchement était fortement associée à des complications cardiaques et à une prééclampsie sévère à l’accouchement suivant.

Par ailleurs, certaines complications semblaient plus susceptibles de se reproduire lors d’un deuxième accouchement, comme les événements cardiaques, la pré-éclampsie ou l’éclampsie sévère, les hémorragies graves et les complications chirurgicales. En revanche, d’autres types de complications, telles que l’insuffisance rénale aiguë, l’embolie, le choc ou la coagulation intravasculaire disséminée et la septicémie, ne se sont pas reproduites aussi souvent.

Il est à noter que les femmes ayant subi une morbidité maternelle grave à leur premier accouchement étaient plus susceptibles d’être âgées de plus de 35 ans, d’avoir des comorbidités préexistantes et d’être défavorisées au plan socio-économique — facteurs déjà reconnus comme accroissant le risque de complications. Les estimations ont été ajustées dans le cadre de l’étude pour refléter cette réalité.

Malgré que ces résultats brossent un tableau de la situation au Québec, les auteurs de l’étude estiment que ceux-ci sont transposables à tout le Canada ainsi qu’aux pays où la population est diversifiée et multiethnique et où les soins de santé sont universels.

Répondre aux besoins des femmes

Avant de mener cette étude, les scientifiques ont consulté des membres du groupe Maternal Near Miss Survivor, comptant plus de 1 000 femmes nord-américaines qui ont failli mourir, mais qui ont survécu à une complication survenue en cours de grossesse, à l’accouchement ou peu de temps après. Une de leurs principales priorités de santé en lien avec la grossesse était l’issue de la reproduction, notamment les risques associés à une future grossesse.

« Bien que la mortalité maternelle ait diminué dans les pays riches, peu de progrès ont été réalisés pour enrayer les cas de morbidité maternelle grave dans les pays du Nord. La recherche dans ce domaine a été restreinte, particulièrement au Canada. Notre étude vient combler cette lacune. Son vaste ensemble de données provinciales fournit des éléments probants sur le risque de récurrence de complications graves, et pourra faciliter les futurs soins et conseils entre les grossesses », affirme Ugochinyere Vivian Ukah, principale auteure de l’étude, chercheuse à l’Institut HealthPartners des États-Unis et ancienne stagiaire postdoctorale supervisée par la Dre Dayan à l’Université McGill.

« Améliorer la santé maternelle, c’est bien sûr éviter les décès maternels et infantiles et rapprocher leur nombre de zéro autant que possible. Mais il faut aussi faire mieux pour prévenir la morbidité maternelle grave et ses conséquences, qui nuisent considérablement à la qualité de vie d’une femme dans la force de l’âge », ajoute la Dre Dayan, qui est également épidémiologiste, interniste obstétricienne au CUSM et professeure agrégée à la faculté de médecine de l’Université McGill. « Nos prochaines étapes vont consister à examiner la santé mentale et les résultats cardiovasculaires, de même que le recours aux soins de santé (visites à l’urgence, hospitalisations et consultations externes) suivant une morbidité maternelle grave dans l’ensemble du Canada. Nous espérons que ces données orienteront les politiques de santé publique et la planification des soins postnataux, en particulier pour les femmes qui ont souffert de complications ayant mis leur vie en danger. »

 

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À propos de l’étude

Ukah UV, Platt RW, Auger N, Lisonkova S, Ray JG, Malhamé I, Ayoub A, El-Chaâr D, Dayan N. Risk of recurrent severe maternal morbidity: a population-based study. Am J Obstet Gynecol. 2023 Jun 8:S0002-9378(23)00382-4.

DOI: 10.1016/j.ajog.2023.06.010

Cette étude a été soutenue par une subvention financée par les Instituts de recherche en santé du Canada, nommée Projet BEYOND.

 

À propos de l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill 

L’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM) est un centre de recherche de réputation mondiale dans le domaine des sciences biomédicales et de la santé. Établi à Montréal, au Canada, l’institut, qui est affilié à la faculté de médecine de l’Université McGill, est l’organe de recherche du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) — dont le mandat consiste à se concentrer sur les soins complexes au sein de sa communauté. L’IR-CUSM compte plus de 450 chercheurs et environ 1 200 étudiants et stagiaires qui se consacrent à divers secteurs de la recherche fondamentale, de la recherche clinique et de la recherche en santé évaluative aux sites Glen et à l’Hôpital général de Montréal du CUSM. Ses installations de recherche offrent un environnement multidisciplinaire dynamique qui favorise la collaboration entre chercheurs et tire profit des découvertes destinées à améliorer la santé des patients tout au long de leur vie. L’IR-CUSM est soutenu en partie par le Fonds de recherche du Québec — Santé (FRQS). ircusm.ca

 

Personne-ressource pour les médias

Fabienne Landry
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