Découverte d’un champignon commensal qui façonne les réponses immunitaires antiparasitaires et allergiques
Cette découverte majeure ouvre de nouvelles perspectives pour étudier le rôle des interactions hôte champignon dans l’immunité intestinale.
L’intestin est un refuge pour des billions de microbes commensaux, appelés microbiome, qui coexistent avec leur hôte. Si le microbiome joue un rôle essentiel dans le renforcement de notre système immunitaire et la protection de l’organisme contre les infections, il peut également contribuer à l’apparition de maladies auto-immunes et inflammatoires, ce qui souligne la complexité des interactions en jeu. Une découverte collaborative majeure, récemment publiée dans Nature et réalisée en collaboration avec des chercheurs de l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (L’Institut), jette un nouvel éclairage sur les relations hôte-microbe.
Alors que la plupart des études sur le microbiome ont examiné comment les bactéries commensales influencent notre santé, les scientifiques du laboratoire d’Irah King à L’Institut ont contribué à l’identification du premier véritable champignon commensal chez les souris de laboratoire : une espèce de levure appelée Kazachstania pintolopesii (Kp). Ce champignon colonise de manière stable et domine le tractus intestinal de la souris, peut être transmis à la progéniture et déclenche une réponse immunitaire qui augmente substantiellement la résistance aux infections par des helminthes intestinaux — des vers parasites qui affectent des millions de personnes dans le monde.
Dirigée par le Dr Iliyan Iliev du Weill Cornell Medical College à New York, l’étude révèle comment les champignons commensaux et pathogènes façonnent l’immunité intestinale et ouvre de nouvelles possibilités d’étudier les interactions entre l’hôte et le champignon. Mais surtout, elle montre que le Kp renforce les réponses immunitaires de type 2, le plus souvent associées à l’allergie et à l’infection par des vers parasites.
« Les expériences que nous avons menées dans notre laboratoire ont montré que lorsque la barrière intestinale est perturbée, la colonisation par le Kp renforce considérablement la résistance à l’infection par les helminthes intestinaux, explique Irah King, PhD, scientifique senior au sein du programme de recherche translationnelle sur les maladies respiratoires à L’Institut et co-auteur de l’étude. Il s’agit d’une réponse très atypique, car les champignons induisent généralement une réponse immunitaire de type 3, qui est associée à la destruction des champignons, mais qui est également impliquée dans des maladies auto-immunes telles que la sclérose en plaques et la polyarthrite rhumatoïde. »
« Avant ce travail, les chercheurs ne disposaient pas d’un modèle fiable pour étudier le commensalisme fongique, car la plupart des champignons ne colonisent l’intestin de la souris que de manière transitoire. Notre découverte collective fournit un nouvel organisme modèle indispensable pour comprendre les interactions hôte-fongus et leur impact sur la réponse immunitaire à l’infection. C’est d’autant plus précieux que les champignons sont une composante souvent négligée, mais cruciale de l’écosystème intestinal de toutes les formes de vie », ajoute le Prof. King, également professeur au département de microbiologie et d’immunologie de l’Université McGill.
Une découverte aux implications multiples
Cette découverte ouvre un certain nombre de nouvelles perspectives de recherche. Par exemple, comprendre comment le Kp renforce l’immunité antihelminthique pourrait permettre de développer de nouvelles stratégies thérapeutiques. En outre, la caractérisation de la colonisation par le Kazachstania dans le microbiome humain pourrait aider à prédire et à comprendre l’activation immunitaire humaine dans le cadre d’autres maladies telles que l’asthme.
D’autres études pourraient également :
- mettre en lumière les relations complexes entre les champignons, les bactéries, les parasites et l’hôte, ce qui permettrait aux scientifiques d’approfondir leur compréhension de l’influence du microbiote sur la santé ;
- démontrer le rôle important des champignons dans l’élaboration des réponses immunitaires de l’intestin, ce que n’ont pas fait les études précédentes sur le microbiome ;
- révéler des façons méconnues dont les champignons peuvent affecter les résultats expérimentaux et cliniques dans diverses études sur la santé et la maladie, par leurs propriétés immunomodulatrices.
A serendipitous discovery
Le laboratoire King à L’Institut s’intéresse de près à la manière dont le microbiome façonne l’immunité contre les maladies infectieuses. Plus précisément, le laboratoire utilise des vers parasites (helminthes) pour étudier les réponses immunitaires intestinales. À un certain moment, l’équipe a fait une série d’observations intrigantes, telles qu’un nombre de vers étonnamment bas lors d’une infection chez des souris et une contamination par des levures dans des cultures réalisées à partir d’intestins de souris.
« Plutôt que de considérer ces observations comme des obstacles techniques, nous nous sommes demandé si les infections aberrantes n’étaient pas dues à des actions du microbiote. Nous avons décidé de faire appel à un collègue et grand spécialiste des interactions hôte-fongus, le Dr Iliyan Iliev du Weill Cornell Medical College à New York, pour séquencer la levure de nos souris. Il a identifié une seule espèce, Kazachstania pintolopesii. Par coïncidence, il avait également découvert le Kp chez ses souris de laboratoire et étudiait son rôle dans l’immunité intestinale », explique le Prof. King.
Les chercheurs ont ensuite décidé de coloniser délibérément des souris avec des Kp et ont observé la même réduction de la charge parasitaire, ce qui démontre que la colonisation par les Kp renforce directement la réponse antihelminthique.
« Alors que des travaux antérieurs avaient examiné séparément les interactions entre l’hôte et les champignons ou entre l’hôte et les helminthes, cette étude révèle comment ces règnes interagissent dans une relation tripartite qui influence l’immunité de l’hôte », explique Kaitlin Olsen, une étudiante à L’Institut qui a réalisé certaines des expériences de l’étude.
« Cette découverte convaincante, qui montre que la colonisation par Kp façonne la réponse antiparasitaire de l’hôte, illustre l’importance de prêter attention aux résultats inattendus de la recherche et de nouer des collaborations scientifiques, ajoute le Prof. King. Ce qui semblait au départ être des problèmes techniques a révélé un cadre fondamental pour étudier l’axe passionnant des interactions entre champignons, helminthes et hôtes. »
L’équipe du laboratoire King étudie maintenant comment la colonisation par les Kp au début de la vie peut influencer le développement immunitaire à long terme et la susceptibilité aux maladies. En collaboration avec des scientifiques et des cliniciens du Centre de recherche sur le microbiome de l’Université McGill, elle cherche également à établir des liens potentiels entre la colonisation par les Kp et les effets sur la santé humaine — des études qui pourraient orienter les approches thérapeutiques pour les infections causées par les helminthes et les troubles à médiation immunitaire.
À propos de l’étude
Liao, Y., Gao, I.H., Kusakabe, T. et al. Fungal symbiont transmitted by free-living mice promotes type 2 immunity. Nature 636, 697–704 (2024). https://doi.org/10.1038/s41586-024-08213-2