L’épigénétique révèle de nouveaux secrets des ostéosarcomes
Des chercheurs dévoilent des mécanismes épigénétiques impliqués dans le cancer des os qui pourraient aider à préciser le pronostic et à orienter le développement de nouveaux traitements pour les tumeurs résistantes à la chimiothérapie
Si les essais cliniques constituent une étape cruciale dans le développement de nouveaux traitements contre le cancer, la recherche fondamentale est aussi essentielle pour trouver de nouvelles cibles thérapeutiques, c’est-à-dire des molécules ou des structures cellulaires impliquées dans le développement ou la progression du cancer et pouvant être bloquées ou modifiées par des médicaments. C’est particulièrement vrai dans le cas de l’ostéosarcome, la forme la plus fréquente de cancer des os, qui touche particulièrement les adolescents, et pour lequel les taux de survie stagnent depuis les années 1990.
Dans le cadre de la Journée québécoise sur les sarcomes, le 19 septembre, des chercheurs de L’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (L’Institut) mettent en lumière des avancées majeures récemment publiées dans Nature Communications. L’étude révèle de nouveaux mécanismes pathologiques propres à l’ostéosarcome et ouvre la voie à de potentielles pistes thérapeutiques. Ces découvertes sont le fruit d’une collaboration menée par la professeure Livia Garzia, Ph. D., scientifique au Programme de recherche sur le cancer à L’Institut, en partenariat avec la Dre Nada Jabado, M.D., Ph. D., également scientifique à L’Institut, et la Dre Claudia Kleinman, Ph. D., chercheuse à l’Institut Lady Davis.

« Il faut de toute urgence trouver de nouveaux traitements pour l’ostéosarcome, car bon nombre de tumeurs réapparaissent ou deviennent résistantes au traitement, et les taux de survie des patients n’ont pas augmenté depuis les 35 dernières années. Les protocoles de traitement actuels se fondent encore sur la chimiothérapie toxique à forte dose, ce que nous espérons changer grâce à nos travaux de recherche », explique Wajih Jawhar, co-premier auteur de l’étude et étudiant au doctorat supervisé par la Prof. Garzia et la Dre Jabado à L’Institut.
Contrairement à certains cancers qui présentent des mutations génétiques claires et récurrentes, l’ostéosarcome ne montre pas de schéma génétique cohérent. Sa principale caractéristique est plutôt un génome fortement désorganisé et instable. Sachant que des perturbations épigénétiques ont été identifiées comme caractéristique commune à de nombreux cancers chez les enfants et les jeunes adultes, les chercheurs se sont penchés sur l’épigénome de tumeurs osseuses. En d’autres mots, ils sont partis à la recherche de modifications chimiques qui régulent la façon dont les gènes de la tumeur sont activés ou désactivés, sans changer l’ADN lui-même.
Qu’est-ce que l’épigénétique ?
L’épigénétique est l’étude des mécanismes qui se produisent « autour » des gènes et qui modifient leur activité sans changer la séquence de l’ADN. Ces modifications épigénétiques peuvent être influencées par l’environnement ou les habitudes de vie, et contribuer au développement de certaines maladies. Les scientifiques parlent parfois de voies épigénétiques pour désigner les processus cellulaires qui régulent l’expression des gènes et qui pourraient être ciblés par des traitements.
Comme une voiture sans frein : comprendre la mécanique, pour la réparer
En étudiant des tissus tumoraux provenant de deux cohortes indépendantes de patients, les chercheurs ont découvert qu’environ 20 % des ostéosarcomes présentent une activation anormale du gène qui produit la protéine EZHIP — une protéine normalement absente des tissus osseux. Il s’agit de la première étude, tous types de cancers confondus, à fournir une preuve expérimentale que la protéine EZHIP agit comme un oncogène, favorisant l’agressivité de la tumeur.
Les chercheurs ont aussi constaté que l’expression de la protéine EZHIP s’accompagne d’une perte d’une marque épigénétique appelée H3K27me3 sur une protéine histone. Cette marque agit normalement comme un « frein » sur certains gènes. Sans ce frein, des gènes qui devraient rester silencieux s’activent, ce qui entraîne une croissance incontrôlée des cellules, empêche leur différenciation (elles demeurent « immatures ») et, en fin de compte, favorise la formation et le maintien des tumeurs.
De plus, ils ont observé cette perte de H3K27me3 dans certains ostéosarcomes où la protéine EZHIP n’est pas exprimée, ce qui suggère que d’autres mécanismes pourraient être en jeu. Dans l’ensemble, leurs résultats montrent que l’expression d’EZHIP ou la perte de H3K27me3 se retrouve dans environ 40 % des tumeurs.
Les chercheurs ont aussi montré que de faibles niveaux de H3K27me3 sont plus fréquents dans les tumeurs qui réagissent moins bien à la chimiothérapie administrée avant la chirurgie. La présence (ou l’absence) de cette marque épigénétique dans la tumeur d’un patient pourrait donc aider les médecins à prédire la réponse à la chimiothérapie et à choisir des traitements plus adaptés.
Fait important, l’équipe a identifié une stratégie thérapeutique potentielle : le tazemetostat. Il s’agit d’un médicament approuvé par la FDA et doté d’un profil de sécurité favorable, qui s’est avéré prometteur dans les modèles cellulaires exprimant la protéine EZHIP.
Ce travail est un véritable effort collaboratif entre les co-premiers auteurs Wajih Jawha, Geoffroy Danieau, PhD (sous la supervision de la Prof. Garzia), et Alva Annett, doctorante (co-encadrée par la Prof. Kleinman et la Dre Jabado), qui ont apporté leurs expertises uniques et complémentaires en biologie des sarcomes et en approches omiques. Bien qu’il ouvre des pistes prometteuses pour de nouveaux traitements, il faudra encore du temps et de la recherche avant qu’ils puissent être utilisés chez les patients.
Quelques faits sur l’ostéosarcome
- L’ostéosarcome est un cancer des os qui peut se propager aux tissus voisins, et former des métastases dans d’autres parties du corps, souvent aux poumons. Il est invalidant et souvent mortel.
- L’ostéosarcome survient principalement chez les enfants, adolescents et jeunes adultes, avec des taux d’incidence plus élevés pendant la puberté, et un deuxième pic vers l’âge de 70 ans.
- Il peut apparaître dans n’importe quel os du corps, mais on l’observe le plus souvent dans les os de la jambe (fémur ou tibia) ou du bras (humérus). Chez l’adulte plus âgé, on peut aussi le détecter dans les os du bassin, de la mâchoire ou de la colonne vertébrale.
- La douleur, la tuméfaction/masse, et la perte de mobilité articulaire sont les symptômes habituels.
- Le traitement de l’ostéosarcome comprend généralement une chimiothérapie néoadjuvante, une chirurgie, et une autre chimiothérapie. Une amputation est parfois nécessaire.
- À ce jour, très peu de facteurs de risque ont été identifiés, et aucune mutation génétique commune à tous les cas n’a été identifiée, ce qui complique le développement de traitements ciblé.
Le saviez-vous ?
Le laboratoire de la Dre Nada Jabado à L’Institut a été le premier à identifier un nouveau mécanisme moléculaire impliqué dans les maladies humaines, à savoir les mutations d’histones. Cette découverte a favorisé le développement de nouvelles options thérapeutiques personnalisées qui améliorent la vie de nombreux enfants atteints de cancer.
À propos de l’article
Les auteures et les auteurs de l’article intitulé Aberrant EZHIP expression drives tumorigenesis in osteosarcoma sont Wajih Jawhar, Geoffroy Danieau, Alva Annett, Takeaki Ishii, Andrea Bajic, Ana Castillo-Orozco, Brian Krug, Yara Faucher-Jabado, Justin Seyedmoomenkashi, Mostafa Saquib, Masoumeh Aghababazadeh, Marjan Khatami, Nadim Tawil, Damien Faury, Sungmi Jung, Ahmed Aoude, Robert E. Turcotte, Benjamin Ellezam, Thomas Sontag, Sylvie Langlois, Daniel Sinnett, Swneke D. Bailey, Lingxin Zhang, Dorothée Dal Soglio, Claudia L. Kleinman, Nada Jabado et Livia Garzia
Nature Communications, volume 16, numéro de l’article : 6752 (2025)
Système DOI : https://doi.org/10.1038/s41467-025-61558-8