Le microbiome révèle un nouveau secret de la fibromyalgie
Les chercheurs d’une nouvelle étude ont découvert des altérations des bactéries intestinales et des acides biliaires sanguins chez les femmes atteintes de fibromyalgie, liées à la gravité de leurs symptômes, et ont décelé une signature biologique apte à faciliter le diagnostic de la maladie.
Montréal, le 12 juillet 2022 – La fibromyalgie, un syndrome qui provoque des douleurs, de la fatigue et des troubles cognitifs, touche jusqu’à quatre pour cent de la population, principalement les femmes. Cette maladie peu comprise demeure sans traitement et difficile à diagnostiquer. Toutefois, les travaux d’une équipe de scientifiques de l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM), de l’Université McGill, de l’Université de Montréal et de l’Institute for Pain Medicine du Rambam Health Care Campus, à Haïfa, en Israël, permettent d’entrevoir un espoir nouveau.
L’équipe, première à démontrer en 2019 que la fibromyalgie était associée à des altérations du microbiome intestinal, vient de franchir un pas important vers une meilleure compréhension du lien entre les bactéries intestinales et le syndrome. Dans une nouvelle étude, elle fournit les premières preuves que les personnes atteintes de fibromyalgie affichent des différences de quantités et d’espèces de bactéries intestinales métabolisant la bile et de concentrations d’acides biliaires dans le sang, comparativement aux personnes en bonne santé. Elle démontre également que certaines de ces différences sont corrélées à la gravité des symptômes. Ces résultats, publiés dans la revue scientifique PAIN, pourraient mener au développement d’outils diagnostiques et thérapeutiques pour les personnes souffrant de fibromyalgie.
Une signature caractérisée par sa composition singulière d’acides biliaires
Sécrétés par le foie, les acides biliaires humains aident l’organisme à digérer les huiles et les graisses, mais ils remplissent en outre plusieurs fonctions biologiques dans d’autres systèmes du corps. Une fois métabolisés dans l’intestin, les acides biliaires sont réacheminés vers le foie et le sang et deviennent des acides biliaires secondaires.
Lors de cette étude, qui comparait 42 femmes en bonne santé à 42 femmes atteintes de fibromyalgie, les scientifiques ont constaté que les bactéries métabolisant la bile les plus présentes dans l’intestin n’étaient pas identiques dans les deux groupes. De plus, chez les femmes atteintes de fibromyalgie, la concentration sérique d’acides biliaires secondaires présentait des altérations considérables.
« L’altération des acides biliaires observée dans notre étude chez les patientes souffrant de fibromyalgie est suffisamment distincte pour servir de signature biologique efficace à détecter la présence du syndrome. Il s’agit d’une avancée importante, puisque diagnostiquer la fibromyalgie est un procédé souvent laborieux qui exige d’écarter d’autres maladies pouvant causer des symptômes semblables », explique le Dr Amir Minerbi, co-premier auteur de l’étude, qui est passé de l’Unité de gestion de la douleur Alan-Edwards du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) à l’Institute for Pain Medicine de Rambam, au cours de l’étude.
À l’aide de l’intelligence artificielle, l’équipe a aussi découvert que la présence de six acides biliaires secondaires particuliers suffisait à déterminer avec plus de 90 % de précision si une participante à l’étude était atteinte de fibromyalgie.
« Grâce à l’apprentissage automatique et statistique, nous avons pu identifier quelles bactéries intestinales varient en abondance et quels acides biliaires humains sont des facteurs importants de la maladie », explique Emmanuel Gonzalez, Ph. D., co-premier auteur de l’étude, du Centre canadien de génomique computationnelle et du Département de génétique humaine de l’Université McGill. « Ces méthodes ont permis d’obtenir une signature biologique fiable de la fibromyalgie. Et bien que notre cohorte d’étude soit relativement petite, ces résultats indiquent que l’intelligence artificielle pourrait arriver à améliorer considérablement le diagnostic de cette maladie. »
Altérations associées à la gravité des symptômes
Les scientifiques ont prélevé chez les participantes des échantillons de selles pour analyser les bactéries du microbiome et des échantillons de sang pour analyser les acides biliaires. Afin d’évaluer si une corrélation existait entre les altérations biochimiques observées et la gravité des symptômes, on a demandé aux participantes atteintes de fibromyalgie de remplir des questionnaires mesurant leur douleur, leur fatigue, leur qualité de sommeil et leurs problèmes cognitifs et somatiques. Celles-ci ont également détaillé leur forme physique, leurs difficultés au travail, leur fatigue matinale, leur rigidité musculaire et leurs symptômes d’anxiété et de dépression.
Les chercheurs ont observé qu’un acide biliaire secondaire, appelé acide α-muricholique (α-MCA), était en moyenne cinq fois moins présent chez les patientes atteintes de fibromyalgie que chez les participantes en bonne santé. Ils ont constaté que cette différence était négativement associée à la plupart des symptômes du syndrome, notamment la douleur, la fatigue, le sommeil non réparateur et les troubles cognitifs.
« Si ces résultats sont confirmés par de prochaines études, un nouveau mécanisme potentiel pourrait être exploré, impliquant un acide biliaire secondaire précis qui influence la douleur chronique », déclare l’auteur principal de l’étude, le Dr Yoram Shir, de l’Unité de gestion de la douleur Alan-Edwards du Centre universitaire de santé McGill (CUSM).
S’appuyant sur les technologies de séquençage de l’ADN et sur l’intelligence artificielle, l’équipe a cherché des correspondances entre les concentrations sériques d’acides biliaires et diverses variables cliniques. Les analyses ont confirmé qu’au moins quelques-unes des différences observées dans la composition du microbiome des patientes et dans les bactéries métabolisant la bile étaient vraisemblablement attribuables à la fibromyalgie, et non à d’autres facteurs individuels ou environnementaux.
« Par exemple, les personnes atteintes de fibromyalgie souffrent fréquemment du syndrome du côlon irritable et de troubles dépressifs, mais nous avons pu démontrer que les altérations des acides biliaires associées à la fibromyalgie n’étaient pas corrélées à ces pathologies », explique Emmanuel Gonzalez, expert en bio-informatique.
L’alimentation étant un facteur qui agit sur la composition du microbiome intestinal, les scientifiques ont également mené des analyses sur les habitudes nutritionnelles de chaque participante. Aucune corrélation n’a été observée entre les aliments consommés et les symptômes.
Premier constat associant les altérations du système biliaire à la douleur chronique
À l’instar de la précédente étude de l’équipe, qui reliait la fibromyalgie au microbiome intestinal (publiée dans PAIN en 2019), cette nouvelle étude est le fruit du Projet fibromyalgie-microbiome, mené entre 2017 et 2018 à l’Unité de gestion de la douleur Alan-Edwards du CUSM et à la Clinique de rhumatologie du West Island, à Montréal, au Canada. Malgré les défis posés par la pandémie de COVID-19, l’équipe, composée de spécialistes en recherche clinique, en nutrition humaine, en biologie environnementale et en bio-informatique, a réussi à poursuivre son travail collaboratif. En moins de trois ans, elle est arrivée à publier cette nouvelle étude qui établit la première association significative entre les concentrations sanguines d’acides biliaires et la douleur chronique.
« Nos résultats révèlent une forte relation entre la composition du microbiome des patientes, les acides biliaires et la gravité des symptômes de la fibromyalgie. Il est primordial d’arriver à comprendre le mécanisme biologique de la fibromyalgie, car cela démontre qu’il s’agit d’une maladie réelle, et cela nous rapproche de la conception d’un traitement efficace pour soulager les femmes et les hommes qui en souffrent », déclare le Dr Shir.