Les bactéries de l'intestin associées pour la première fois à la douleur chronique diffuse
Des scientifiques ont établi une corrélation entre une maladie provoquant des douleurs chroniques et la composition du microbiome intestinal.
La fibromyalgie est une maladie incurable touchant de 2 à 4 % de la population. Elle entraîne fatigue, troubles du sommeil et difficultés cognitives, mais les douleurs chroniques diffuses constituent son principal symptôme. Une équipe de chercheurs montréalaise vient de mettre en lumière, pour la toute première fois, des changements dans les bactéries peuplant les voies digestives des personnes atteintes de fibromyalgie; leur étude fait l’objet d’un article publié aujourd’hui dans la revue Pain. En effet, une vingtaine d’espèces bactériennes étaient présentes dans le microbiome des sujets atteints soit en plus grande quantité, soit en quantité moindre, que dans celui des témoins sains.
Découverte d’une corrélation directe
« Nous avons eu recours à diverses techniques, dont l’intelligence artificielle, pour confirmer que les changements observés dans le microbiome des sujets atteints de fibromyalgie n’étaient pas causés par des facteurs qui modifient le microbiome, par exemple l’alimentation, les médicaments, l’activité physique et l’âge », souligne le Dr Amir Minerbi, auteur principal de l’article. Le Dr Minerbi, de l’Unité de gestion de la douleur Alan‑Edwards du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), fait partie d’une équipe comprenant également des chercheurs de l’Université McGill, de l’Université de Montréal et de l’Institut de recherche du CUSM.
« Nous avons constaté que la fibromyalgie et ses symptômes – douleurs, fatigue et troubles cognitifs – étaient, de tous les facteurs qui agissaient sur le microbiome des personnes atteintes, ceux dont l’effet était le plus marqué, poursuit le Dr Minerbi. Nous avons également fait une observation inédite, à savoir une corrélation directe entre la gravité des symptômes et la présence ou l’absence plus marquée de certaines bactéries ».
Les bactéries, simples marqueurs?
Pour l’instant, on ne saurait dire avec certitude si les variations du microbiome observées chez les patients fibromyalgiques ne sont que des marqueurs de la maladie ou jouent un rôle dans son apparition. Comme la fibromyalgie provoque divers symptômes et pas uniquement de la douleur, les chercheurs devront maintenant vérifier si le microbiome intestinal subit le même type de changements en présence d’autres douleurs chroniques, par exemple des lombalgies, des céphalées et des douleurs neuropathiques.
Par ailleurs, les chercheurs veulent savoir si les bactéries peuvent provoquer la douleur et la fibromyalgie, et si leur présence peut les orienter vers un éventuel traitement curatif et accélérer la démarche diagnostique.
Diagnostic et recherche d’un traitement curatif
La fibromyalgie est difficile à diagnostiquer. Parfois, les patients attendent leur diagnostic pendant quatre ou cinq ans. Mais cette époque pourrait bientôt être révolue.
« Nous avons scruté une multitude de données et repéré 19 espèces bactériennes dont la quantité variait à la hausse ou à la baisse chez les personnes atteintes de fibromyalgie », précise Emmanuel Gonzalez, du Centre canadien de génomique computationnelle et du Département de génétique humaine de l’Université McGill. « Grâce à l’apprentissage machine, notre ordinateur a pu diagnostiquer la fibromyalgie à partir de la seule composition du microbiome avec un taux d’exactitude de 87 %. Forts de cette première découverte, nous entendons poursuivre nos travaux dans le but d’augmenter ce taux et, peut-être, de changer la donne en matière de diagnostic. »
« La fibromyalgie est source de souffrance non seulement en raison de ses symptômes, mais également de l’incompréhension de la famille, des amis et des professionnels de la santé », déclare l’auteur senior de l’article, le Dr Yoram Shir, directeur de l’Unité de gestion de la douleur Alan‑Edwards du CUSM et chercheur associé à l’IR-CUSM. « En tant que médecins spécialisés dans la prise en charge de la douleur, nous nous sentons impuissants devant cette maladie, et ce sentiment est un véritable carburant pour un chercheur. Nous venons de montrer pour la toute première fois, du moins chez l’être humain, que le microbiome peut agir sur la douleur diffuse, et en matière de douleur chronique, tout nouvel angle d’approche est franchement le bienvenu. »
Méthodologie de l’étude
L’effectif de l’étude compte 156 sujets de la région montréalaise, dont 77 atteints de fibromyalgie. Les participants ont été interviewés et ont fourni des échantillons de selles, de sang, de salive et d’urine, puis on a comparé les échantillons des sujets fibromyalgiques à ceux des témoins sains, dont certains vivaient avec les personnes atteintes ou étaient des parents (père, mère, enfant, frère ou sœur).
Les chercheurs devront maintenant vérifier s’ils obtiennent des résultats semblables dans une autre cohorte, éventuellement recrutée ailleurs dans le monde, et réaliser des études chez l’animal pour déterminer si la variation de la composition bactérienne contribue à l’apparition de la maladie.
L’article « Altered microbiome composition in individuals with fibromyalgia », par Amir Minerbi et ses collaborateurs a été publié dans la revue Pain.
Cette étude a été financée par la Fondation Louise et Alan‑Edwards ainsi que la Société israélienne de médecine musculosquelettique.
Contact média :
Julie Robert
Communications (Recherche)
Centre universitaire de santé McGill
T : 514 934-1934, poste 71381
[email protected]