Un peu de glamour à l'Institut thoracique de Montréal
Il est exactement 15 heures lorsque j’arrive à l’Institut thoracique de Montréal du Centre universitaire de santé McGill pour mon entrevue avec Mme Marilyn Gardner. En arrivant dans la salle, je m’annonce, puis j’attends qu’on m’invite à entrer.
Madame Gardner est assise calmement près de la fenêtre dans la salle d’activité de l’hôpital, discutant avec les autres patients et dégustant un morceau de gâteau.
« Mais vous êtes en avance d’une bonne trentaine de minutes, dit-elle, d’un ton énergique. Nous avions convenu 15 h 30 et je prends mon dessert maintenant… Vous devrez attendre un peu. »
Son commentaire m’a amusée, car il révélait bien le caractère de cette femme toute menue âgée de 82 ans : une femme qui n’a pas de filtre, qui dit simplement les choses comme elle les pense.
Cette personnalité quelque peu excentrique est parfaitement conforme à la carrière artistique qu’a connue cette femme. Comédienne de théâtre, elle a passé sa vie au sein de la communauté artistique québécoise. Elle a vécu à Paris et a épousé le réputé comédien Jean Gascon, cofondateur du Théâtre du Nouveau Monde.
Soignée à l’unité des soins de longue durée et atteinte de maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC), Mme Gardner a commencé à fumer très jeune, à l’âge de 12 ans. Elle pouvait fumer parfois jusqu’à deux paquets de cigarettes par jour, mais comme elle était une femme active et en santé, elle n’a jamais eu à subir les conséquences de son tabagisme.
« À l’époque, dit-elle, ça faisait chic de fumer, et c’était normal. J’ai commencé à fumer à la patinoire locale sous l’influence d’autres adolescentes de mon âge qui trouvaient cela cute, » dit-elle avec l’enthousiasme d’une adolescente.
Mme Gardner a cessé de fumer il y a seulement six ans, après s’être effondrée à la résidence où elle habitait et avoir été conduite à l’Hôpital général de Montréal du CUSM.
« J’ai été aux soins intensifs pendant environ une semaine, et j’étais complètement inconsciente, explique-t-elle. Tout le monde était convaincu que je ne me réveillerais jamais, mais je suis revenu à la vie tout d’un coup. Une fois rétablie, la résidence où j’habitais ne pouvait assurer les soins dont j’avais besoin et je vis donc ici depuis ce temps. »
Madame Gardner est entrée à l’Institut thoracique de Montréal le jour de la fête des Mères 2013 pour y recevoir des soins spécialisés. Si, de son propre aveu, son expérience n’a pas été très agréable au début, elle en est venue à apprécier l’environnement dans une unité de soins de longue durée.
« J’adore ma vie actuelle comme jamais j’aurais pu l’imaginer, affirme-t-elle. J’adore ces magnifiques planchers en pierre et les murs de ce superbe immeuble. »
« L’unité des soins de longue durée va bientôt déménager à l’Hôpital de Lachine et on nous a dit que nous pourrions même choisir la couleur de nos chambres. N’est-ce pas merveilleux? »
En réalité, si Mme Gardner est fascinée par l’architecture de l’Institut, elle est encore plus élogieuse envers les gens qui y travaillent. « Mon médecin, le Dr Jennifer Landry, est l’une des grandes spécialistes à Montréal, elle est jeune, dynamique et a le don de bien expliquer les choses. J’ai une merveilleuse relation avec elle. »
Mais comment une femme aussi flamboyante, qui a eu une vie si excitante, peut-elle aimer vivre en permanence dans un hôpital? « Il m’a fallu revenir sur terre, dit-elle en éclatant de rire. Et j’ai décidé de cesser de m’apitoyer sur mon sort. Les autres patients qui sont branchés à ces énormes machines et qui ont toutes sortes de complications sont pour moi une source d’inspiration. Ils sourient tout le temps et ne sont pas toujours en train de critiquer comme je le fais… Oui, ma vie est différente d’avant, mais je ne regarde plus en arrière. »
J’ai eu beaucoup de plaisir avec cette femme à la personnalité excentrique parfaitement assumée et fière d’être qui elle est. « Vous ai-je dit que j’ai dîné avec la Reine à cinq reprises?, dit-elle. Comme comédienne au Montreal Repertory Theatre, j’ai joué avec des artistes comme Denise Pelletier, Louise Marleau, Gabriel Gascon bref, les plus grandes vedettes du théâtre québécois! Les avez-vous connus? »
J’ai rougi, comme une enfant prise en défaut : « Alors, il faudra vous informer », m’a-t-elle lancé visiblement déçue de mon ignorance.
Je lui ai ensuite demandé ce qu’elle appréciait le plus de sa vie à l’hôpital.
« J’aime beaucoup de choses, dit-elle. J’adore jouer au bingo avec les autres patients et le personnel soignant. Aussi, en arrivant trente minutes avant l’heure prévue pour notre rencontre, vous avez pu constater que j’appréciais chaque instant de ces moments d’activités. Et chaque jour, je me prépare à ces rencontres avec les autres patients et à ces activités. »
« Je suis profondément touchée de vivre cela avec les patients et le personnel, poursuit-elle. Ces gens sont patients avec moi, ils sont gentils et affables. Grâce à eux, je revis! Ils sont ma raison d’être et jamais je ne pourrai assez les remercier. »
Peu après cette entrevue, Mme Gardner est décédée dans son sommeil à l’Institut thoracique de Montréal. Cet article se veut un hommage à sa vie et à son héritage artistique. Reposez en paix, madame Marilyn Gardner.