Un organe sur puce qui prédit la réponse à la chimiothérapie
Avec la mise au point d’un organe sur puce spécifique à chaque patient, le Dr Lorenzo Ferri, à l’Institut, et ses collaborateurs à Harvard font progresser la médecine de précision contre le cancer.
Généralement, les patients atteints d’une forme avancée de cancer et qui demeurent admissibles à la chirurgie reçoivent d’abord une chimiothérapie (dite néoadjuvante) qui vise à réduire la taille de la tumeur et à améliorer les résultats chirurgicaux. Malheureusement, certaines tumeurs sont résistantes au traitement et les cliniciens n’ont aucun moyen d’identifier à l’avance quels patients sont susceptibles de bénéficier de la chimiothérapie.

Grâce à une percée en oncologie de précision réalisée par des chercheurs dirigés par le Dr Lorenzo Ferri à l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGiIl (L’Institut) et le Dr Donald Ingber au Wyss Institute for Biologically Inspired Engineering à l’Université Harvard, cette réalité pourrait complètement changer. Ensemble, ils ont développé un petit dispositif appelé organe sur puce, qui reproduit le cancer du patient et les tissus environnants et qui permet de prédire sa réaction au traitement. Cette technologie pourrait aider les médecins à éviter d’administrer aux patients des traitements peu susceptibles de fonctionner pour eux et orienter ceux-ci vers des options ayant de meilleures chances de succès.
« C’est la première fois que nous pouvons reproduire, à l’extérieur du corps, non seulement le cancer d’une personne donnée, mais aussi les cellules de soutien environnantes et les protéines, d’une manière qui prédit très précisément la réponse au traitement, dit le Dr Ferri, directeur de la Division de chirurgie thoracique et gastro-intestinale supérieure au Centre universitaire de santé McGill (CUSM) et scientifique senior au sein du Programme de recherche sur le cancer à L’Institut. Cette innovation pourrait permettre aux cliniciens d’offrir à chaque patient les thérapies les plus appropriées, avec à la clé une amélioration directe des résultats cliniques. »
Des prédictions précises en clinique
Dans le cadre de ces travaux, publiés récemment dans le Journal of Translational Medicine, les chercheurs ont développé un organe sur puce personnalisé pour huit patients traités au CUSM pour un adénocarcinome de l’œsophage, un cancer ayant un taux de mortalité très élevé. Cet organe sur puce a été exposé au même protocole de chimiothérapie que celui qu’a suivi le patient, et ce, au même moment et à la même dose.

Dans la cohorte de huit patients, toutes les puces ont prédit avec précision la réponse à la chimiothérapie néoadjuvante, en seulement 12 jours. Celle-ci a entraîné la mort des cellules cancéreuses dans quatre puces, tandis que dans les quatre autres, les cellules ont survécu au traitement. Ces résultats correspondaient parfaitement aux réponses observées chez les patients ayant reçu la même chimiothérapie ainsi qu’à leurs taux de survie après la résection chirurgicale de leur tumeur.
« La correspondance parfaite entre les résultats obtenus avec la puce et ceux des patients laisse entendre que ce modèle pourrait devenir un outil puissant pour soutenir la prise de décision en pratique clinique », ajoute le Dr Ferri, également titulaire de la Chaire de chirurgie David S. Mulder à l’Université McGill.
Recréer la tumeur et son micro-environnement
L’organe sur puce développé dans l’étude tire parti de deux technologies existantes : les organoïdes et les organes sur puce microfluidique.

Les organoïdes — de minuscule « mini-organes » constitués d’amas de cellules cultivées à partir de la tumeur d’un patient — peuvent imiter bon nombre de caractéristiques du tissu cancéreux. La première auteure de l’étude, Sanjima Pal, Ph. D., ainsi que d’autres membres de l’équipe du Dr Ferri ont d’ailleurs acquis une maîtrise remarquable dans la création d’organoïdes œsophagiens spécifiques aux patients, avec une grande constance.
« Cependant, afin de déterminer comment un cancer réagit au traitement, il manque à ces organoïdes des éléments importants du micro-environnement de la tumeur, comme les cellules stromales et les tissus conjonctifs qui entourent la tumeur, explique Sanjima Pal, gestionnaire de recherche scientifique au sein de l’équipe du Dr Ferri. Pour pallier ces lacunes et mieux saisir la complexité de la tumeur, nous avons eu recours à la technologie microfluidique d’organe sur puce développée à l’Institut Wyss. »
Les chercheurs ont d’abord créé des organoïdes à partir de biopsies prélevées par endoscopie chez des patients nouvellement diagnostiqués, mais qui n’avaient pas encore été traités. Ils ont ensuite transféré et cultivé des cellules de ces organoïdes dans un des canaux d’une petite puce microfluidique de la taille d’une carte mémoire, et ajouté, dans un canal voisin, des fibroblastes stromaux issus de la même tumeur, afin de reproduire l’environnement tumoral réel. Sur la puce, les deux canaux sont séparés par une membrane poreuse qui permet au cancer et aux cellules stromales d’échanger des molécules comme elles le feraient dans l’organisme.
Enfin, l’équipe a fait circuler dans la puce les médicaments de chimiothérapie utilisés en clinique, en reproduisant les concentrations et durées d’exposition du vrai traitement administré au patient.
« Non seulement l’organe sur puce a-t-il été capable de recréer l’apparence microscopique et l’ADN de la tumeur du patient, mais il a aussi reproduit plus précisément la réponse à la chimiothérapie que les organoïdes ne l’avaient fait dans des recherches précédentes », ajoute le Dr Ferri.
L’oncologie de précision au service des patients
Cette technologie ouvre la voie à de grandes avancées, puisqu’elle pourrait permettre de :
- Personnaliser les traitements des cancers résistants en testant la tumeur de chaque patient afin de vérifier sa sensibilité à la chimiothérapie standard et, au besoin, explorer d’autres options thérapeutiques.
- Développer et valider de nouvelles thérapies ciblées pour différents cancers.
- Identifier des biomarqueurs pour suivre et optimiser les effets des médicaments chez les patients.
Le Dr Ferri espère démarrer un essai clinique au courant de la prochaine année, pour offrir aux patients les traitements oncologiques les plus prometteurs et éviter les dommages attribuables à des options de traitement inefficaces. Avec son équipe, il travaille également à adapter la puce à d’autres types de tumeurs pour lesquelles la chimiothérapie est largement utilisée, mais pas toujours efficace, comme le cancer de l’estomac, le cancer du poumon et le mésothéliome.
« Pouvoir prédire si un protocole de chimiothérapie fonctionnera pour une patiente ou un patient pourrait changer la donne, dit le Dr Ferri. Surtout, cette innovation ouvre des perspectives enthousiasmantes pour la découverte de nouveaux médicaments et pour l’oncologie de précision — non seulement pour les cancers gastro-intestinaux, mais aussi pour de nombreux autres types de cancer. »
À propos de l’étude
L’étude intitulée Patient-derived esophageal adenocarcinoma organ chip: a physiologically relevant platform for functional precision oncology, dont les auteures et les auteurs sont Sanjima Pal, Elee Shimshoni, Salvador Flores Torres, Mingyang Kong, Kulsum Tai, Veena Sangwan, Nicholas Bertos, Swneke Donovan Bailey, Julie Bérubé, Donald E. Ingber et Lorenzo Ferri, a été publiée dans le Journal of Translational Medicine.
DOI : https://doi.org/10.1186/s12967-025-06593-1
Cette étude a été financée par la Fondation de l’Hôpital général de Montréal, avec le soutien inestimable de la Fondation Jarilowsky, ainsi que par le Département de la Défense des États-Unis et Cancer Research UK Grand Challenge.
Les chercheurs tiennent à remercier les participants à l’étude qui les ont aimablement autorisés à recueillir et à utiliser leur matériel biologique et leurs données cliniques, le service de pathologie du CUSM pour la détermination du contenu tumoral dans les tissus primaires et Génome Québec pour son rôle dans l’acquisition des données de séquençage de l’exome entier. Ils remercient également la biobanque et les plateformes d’histopathologie et d’imagerie moléculaire de l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill, ainsi que la plateforme d’histologie du Goodman Cancer Institute de l’Université McGill, pour leur assistance.
Personne-ressource pour les médias
Fabienne Landry
Coordonnatrice des communications, Recherche, CUSM
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