Joanna, maîtresse de son destin
Joanna Felemegos est une jeune femme de 26 ans intelligente et discrète qui a surmonté bon nombre d’obstacles dans la vie. Elle est atteinte d’anémie falciforme de type S-bêta-thalassémie. Il s’agit d’une maladie chronique entraînant de l’anémie ainsi que des épisodes de douleur intense, qui apparaissent soudainement et qui peuvent durer pendant des jours. Avec l’aide de sa famille et de professionnels du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), elle a pu gérer sa santé, terminer ses études et devenir une jeune professionnelle à l’avenir prometteur.
Lorsque Joanna Felemegos est née, ses parents étaient heureux, mais inquiets. Leur bébé risquait d’être atteint d’anémie falciforme, maladie aussi connue sous le nom de drépanocytose. Il s’agit d’une maladie du sang héréditaire où, en raison d’une anomalie de l’hémoglobine, les globules rouges deviennent rigides et se déforment; ils ressemblent alors à une faucille utilisée pour couper le blé. La mère de Joanna, Julie Drakoulakou, est porteuse du gène de l’anémie falciforme, et son père est porteur du trait de la thalassémie, qui est un autre type d’anémie héréditaire.
« Avant notre mariage, notre médecin de famille nous a dit qu’il n’y avait pas raison de nous inquiéter parce qu’il s’agissait de deux types de gènes différents, commente Julie. Toutefois, lorsque je suis tombée enceinte, mon obstétricien a dit que le bébé pouvait effectivement être atteint d’anémie falciforme; il m’a donc envoyée consulter en génétique. On m’a expliqué qu’une amniocentèse permettrait de voir si le fœtus était atteint d’anémie falciforme, mais j’ai refusé cette intervention à cause des risques qui y étaient associés. »
Julie et son mari ont dû attendre jusqu’à ce que leur fille ait trois mois avant de lui faire subir des examens. Jusqu’à cet âge, les nourrissons sont protégés par leur hémoglobine fœtale. En apprenant les résultats, les parents étaient dévastés. « J’avais lu quelque part que bon nombre d’enfants ne survivaient pas au-delà de l’adolescence, mais quelque temps après la naissance de Joanna, nous avons rencontré une patiente plus âgée qui avait cette maladie et cela nous a donné de l’espoir. »
Composer avec les crises de douleur
Joanna a initialement été suivie à l’Hôpital de Montréal pour enfants du CUSM (HME-CUSM); elle a ensuite été confiée aux soins de la Dre Molly Warner à l’Hôpital Royal Victoria du CUSM (HRV-CUSM).
« L’anémie falciforme est associée à de nombreuses complications et à de nombreux symptômes connexes, explique la Dre Warner. Avec cette maladie, les globules rouges ont une durée de vie plus courte; en raison de leur forme, ils ont plus de difficulté à circuler dans les vaisseaux sanguins, et la plupart des patients sont par conséquent anémiques. De surcroit, les globules rouges ayant une forme anormale empêchent le sang de circuler dans les petits vaisseaux, ce qui entraîne un manque d’oxygène dans les tissus. Ce manque d’oxygène peut provoquer une importante douleur dans les os et dans les muscles (crises de douleur) – dont le nombre et la fréquence peuvent varier selon le patient – et endommager les organes vitaux, entraînant des risques d’accident vasculaire cérébral, d’hypertension pulmonaire et des dommages aux reins. Les patients prennent souvent des analgésiques lorsqu’ils ont des crises de douleur et doivent parfois être hospitalisés. »
Petite, Joanna a pris des antibiotiques afin d’éviter les infections mortelles. Avant son dixième anniversaire, elle a dû subir une ablation de la vésicule biliaire, car des calculs composés de bilirubine (formés lorsque les globules rouges éclatent) bloquaient ce canal. Ses crises de douleur duraient une semaine et se produisaient habituellement trois ou quatre fois par année.
« Lorsque j’allais à l’école, je pouvais tomber malade pendant des jours, m’absenter de l’école, puis rechuter, dit Joanna. Je ne pouvais pas faire autant de gymnastique que je l’aurais souhaité. »
Le stress et le froid peuvent aussi provoquer des crises. « Je fais du yoga et de la méditation et je me rappelle qu’il ne faut pas que je laisse le stress m’envahir, explique la jeune femme. Si le temps change et si je pense que je vais faire une crise, je prends des analgésiques, je bois beaucoup d’eau, afin de garder mon sang fluide, et je garde mon corps au chaud. »
Sensibilisation
Selon la Dre Warner, bon nombre des patients atteints d’anémie falciforme doivent relever d’importants défis.
« Les épisodes de douleur ont tendance à être récurrents et ils se manifestent de manière imprévisible; les patients ont par conséquent de la difficulté à aller à l’école ou à aller travailler régulièrement, poursuit-elle. Ils peuvent aussi se sentir inutiles et, parfois, incompris. Comme il n’y a souvent aucun signe physique objectif, il arrive que les médecins aient du mal à comprendre que ces patients ont un besoin urgent de prendre les bons analgésiques. Il en résulte parfois des délais dans l’administration du traitement ainsi que de l’incompréhension entre le patient et l’équipe de soignants. Cela devrait s’améliorer avec la sensibilisation accrue à cette maladie. »
Depuis une vingtaine d’années, Julie, qui est dentiste, prononce des conférences sur l’anémie falciforme, à l’intention des élèves de troisième année de médecine dentaire de l’Université McGill. Il est important de sensibiliser les étudiants à la nécessité de connaître les antécédents médicaux détaillés des patients, dit-elle. Certaines maladies telles que l’anémie falciforme nécessitent la prise d’antibiotiques prophylactiques avant certaines pratiques dentaires. Je leur parle de l’histoire de ma fille car cela les touche et les aide à retenir l’information. »
Joanna est récemment devenue notaire. Petit à petit, elle a appris qu’elle pouvait mener sa vie avec l’anémie falciforme en respectant ses limites. « Chaque crise de douleur m’a appris quelque chose sur mon corps et m’a permis de composer plus facilement avec ma situation. Et je peux compter sur le soutien admirable de ma famille et de mon équipe médicale.»
Soins cliniques offerts au CUSM aux patients atteints d’anémie falciforme
Fondée en 2000, la Clinique des hémoglobinopathies du CUSM est l’une des deux seules cliniques du genre au Québec à offrir des services complets aux patients adultes atteints d’anémie falciforme et de thalassémie. Cette clinique offre aux patients et à leur famille des conseils et des traitements pour les aider à rester en santé et, autant que possible, éviter les complications à long terme. On ignore le nombre de personnes atteintes d’hémoglobinopathies au Canada, mais le nombre de patients qui consultent à la clinique augmente rapidement, en raison de la croissance démographique et de l’immigration. Cette affection est plus répandue chez les personnes dont les ancêtres sont originaires d’Afrique, de la Méditerranée, de la Péninsule arabique, de l’Amérique du Sud ou de l’Amérique centrale ainsi que de certaines régions des Caraïbes.
« Il est important d’identifier les porteurs au sein des populations à risque élevé et de conseiller adéquatement les couples à risque d’avoir un enfant atteint d’anémie falciforme, explique la Dre Molly Warner, directrice de la Division d’hématologie et fondatrice de la clinique. Depuis 2013, on procède au dépistage néonatal systématique de l’anémie falciforme chez les bébés nés à Montréal et dans les régions environnantes. Nous espérons que le dépistage sera bientôt accessible dans l’ensemble du Québec, comme il l’est dans d’autres provinces. Un groupe de spécialistes se penche actuellement sur cette question. »
À la clinique, une équipe formée de trois hématologues (les Dres Warner, Veronique Naessens et Patricia Pelletier) ainsi qu’une infirmière, Catherine Sabourin, qui se consacre aux cas d’hémoglobinopathies, s’occupent de plus de 200 adultes atteints d’anémie falciforme et de thalassémie. De plus, de nombreuses infirmières spécialisées s’occupent des patients qui sont suivis en clinique ou hospitalisés au site Glen.