Des leçons issues des champs de bataille
Par un bel après-midi d’octobre, le Dr Andrew Neil Beckett, major des Forces armées canadiennes et chirurgien traumatologue, s’assoit calmement dans un café de l’Hôpital général de Montréal du Centre universitaire de santé McGill (HGM-CUSM). Sans sourciller, il explique comment vers la fin d’une garde de 36 heures au Centre de trauma de l’HGM-CUSM, lui et son équipe ont sauvé un patient qui avait perdu cinq litres de son sang.
« Il n’est pas rare de traiter des blessures aussi graves et au potentiel mortel », affirme le Dr Beckett, qui a été affecté dans plusieurs pays déchirés par la guerre. « À titre de chirurgiens de combat, nous sommes prêts à traiter les victimes d’accidents de voiture, de chutes et de brûlures ainsi que de blessures de guerre. »
« En 2010, lorsque nous étions stationnés en Afghanistan, nous voyions des types de blessures que nous n’avions jamais vues chez des civils, celles causées par des balles à grande vitesse, des grenades à fragmentation, des mines terrestres et des explosifs improvisés. Nous nous spécialisons aussi en réanimation, c’est-à-dire que nous réanimons des personnes inconscientes ou en mort apparente, à l’aide de produits sanguins*. »
Depuis 2014, le Dr Beckett est le seul chirurgien à temps plein de l’armée canadienne en poste au Québec. Ainsi, il peut être déployé en tout temps, mais entre les déploiements, les Services de santé des Forces canadiennes (SSFC) l’autorisent à traiter des civils au CUSM.
« Mon travail au MGH m’oblige à demeurer compétitif sur le plan intellectuel et universitaire et à maintenir et perfectionner mes habiletés cliniques, dit-il. De plus, les heures que je travaille ne coûtent rien à l’hôpital ni au système de santé. »
Le Dr Beckett a également profité de son séjour au Québec pour apprendre le français. En deux ans à peine, il a maîtrisé la langue — qu’il parle avec un accent charmant— et réussi l’examen obligatoire de l’Office québécois de la langue française (OQLF).
« Le français est important pour l’armée, affirme-t-il. Et maintenant que le gouvernement envisage de nous envoyer en missions de paix en Afrique, il le deviendra encore plus. Lors d’un récent déploiement au Sénégal, c’est moi qui traduisais. »
Une expérience révélatrice à l’étranger
La décision du Dr Beckett de devenir médecin est intimement liée à sa première affectation à l’étranger. Originaire de Stouffville, une petite ville près de Toronto, il a abandonné ses études au secondaire. À 18 ans, en quête d’aventure et de voyages, il a décidé de s’enrôler dans l’armée. À l’été 1992, il a été déployé en Yougoslavie comme technicien médical pour soutenir les forces de combat.
« J’ai vécu une expérience révélatrice, raconte-t-il. J’ai vu la sauvagerie des combats ethniques : les villages incendiés, les atrocités, la souffrance humaine et la mort. Ce conflit m’a en quelque sorte façonné. »
Pendant cette première affectation, le Dr Beckett a également soigné des soldats canadiens blessés grièvement par l’explosion d’une mine terrestre.
« Au moins une personne est morte dans cette explosion, se souvient-il. À l’époque, après des décennies de Guerre froide, nous avions oublié les leçons des Première et Deuxième Guerres mondiales. Nous possédions une expérience très sommaire des blessures de guerre et une compréhension très rudimentaire de la physiologie et des soins efficaces aux traumatisés. Nous n’étions pas une armée de combat, et tout le système était en état de choc. Ce sentiment d’impuissance m’a profondément marqué. C’est pourquoi j’ai décidé de chercher à travailler dans un secteur qui m’aiderait à sauver des vies. »
Depuis, il cherche à améliorer les soins aux victimes de guerre et les services de traumatologie dans l’armée. Inspiré par des chirurgiens militaires du passé, tels que Norman Bethune et Lawrence Bruce Robertson, il a créé le premier Programme sanguin des SSFC, qui fournit des produits sanguins sur le front dans les premières heures suivant une blessure.
« C’est un défi logistique très complexe que de transmettre des produits sanguins climatisés dans des zones de combat comme l’Afrique et l’Afghanistan, mais c’est également essentiel, indique-t-il. Sans produits sanguins, nous ne pouvons pas opérer. »
Il aimerait pouvoir un jour adopter le même type de programme novateur au Québec, afin que les patients des régions éloignées puissent être maintenus en vie assez longtemps pour être transférés à Montréal.
Des connaissances acquises grâce au sacrifice des soldats
Le 24 novembre, le Dr Beckett sera le conférencier principal à l’ouverture montréalaise de l’exposition itinérante nationale De Vimy à Juno (voir l’encadré), qui souligne le rôle du Canada lors des Première et Deuxième Guerres mondiales. Pour le chirurgien de combat, qui est également passionné d’histoire militaire et qui a siégé à des comités d’histoire sur la médecine militaire, il est important d’honorer la bravoure et les sacrifices de nos soldats.
« Bien des gens diraient que la Première Guerre mondiale a été l’événement le plus stressant et le plus traumatisant de l’histoire canadienne, car 67 000 soldats y sont morts en quatre ans, souligne le Dr Beckett. Une grande partie de ce que nous faisons maintenant pour les patients traumatisés repose sur ce que nous avons appris en soignant les soldats blessés. »
*La réanimation salvatrice du patient traumatisé en hémorragie inclut actuellement la transfusion rapide de produits sanguins, l’arrêt immédiat de l’hémorragie et le rétablissement du volume sanguin et de la stabilité physiologique et hématologique.