Portraits du CUSM
La transplantation d’organes est certainement une prouesse de la médecine moderne. Cependant, elle a ses limites. Afin d’éviter le rejet d’une greffe d’organe, les personnes transplantées doivent prendre plusieurs médicaments, toute leur vie. Pour les patients, le fait de manquer quelques doses anti-rejet peut avoir des conséquences désastreuses sur la viabilité du greffon. Dans le cas des jeunes patients, la gestion des soins post-transplantation représente un véritable défi qui est au cœur des travaux effectués par une équipe de l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM).
Sous la direction de la Dre Bethany Foster, néphrologue à l’Hôpital de Montréal pour enfants du Centre universitaire de santé McGill (HME-CUSM), cette équipe cherche à identifier les facteurs qui facilitent le suivi du traitement par les jeunes greffés rénaux et à tester des interventions pour améliorer ce suivi. Une coordonnatrice de recherche, une gestionnaire de projet, des statisticiens et une postdoctorante s’affairent à utiliser différentes approches de recherche pour relever un défi commun : améliorer le taux de succès de la transplantation rénale chez les enfants et les adolescents, à long terme.
Ma motivation à poursuivre ces recherches provient de mon travail clinique en tant que néphrologue pédiatrique et membre de l’équipe de transplantation. La transplantation est un cadeau inestimable; les patients veulent vraiment prendre soin de leurs organes transplantés, mais ont besoin d’un meilleur soutien pour le faire. — Dre Bethany Foster, clinicienne chercheuse
L’équipe de recherche a été la première à montrer que les jeunes transplantés du rein ont un risque plus élevé de perdre leur premier greffon entre 17 et 24 ans, et ce, indépendamment de l’âge auquel ils ont subi la transplantation. Ceci est probablement dû à un manque d’assiduité dans la prise du traitement lors de la période critique de l’adolescence. Ils ont récemment montré que ces résultats s’appliquaient également aux enfants ayant eu une greffe de foie et de cœur.
« Une des forces majeures de mon équipe est la diversité de compétences, dit la Dre Foster, qui est aussi chef associée du programme en santé de l’enfant et en développement humain de l’IR-CUSM. Nous menons des études où l’accent est mis sur l’analyse d’importantes bases de données, d’autres études dites ‘observationnelles’ qui consistent à observer des participants et des comportements, et enfin des essais cliniques, où nous évaluons l’efficacité d’une intervention chez les patients. »
L’identification des barrières dans l’observance thérapeutique
L’équipe est à la veille de compléter une étude clinique innovante du nom de TAKE-IT qui a été réalisée auprès de 170 jeunes patients recrutés dans plusieurs cliniques à travers le Canada et les États-Unis. Lancé en 2011 et financé par les instituts nationaux américains de la santé, ce projet de recherche vise à tester une nouvelle intervention qui améliorerait l’observance au traitement (c’est-à-dire le suivi responsable du traitement prescrit) chez les adolescents greffés du rein. Les participants sont suivis par un « coach » qui les aide à identifier les obstacles personnels auxquels ils se heurtent et à développer des solutions concrètes pour pallier le manque d’assiduité dans la prise de médicaments. En plus, les jeunes patients ont également le choix de recevoir des messages textes, pour les aider à se souvenir de prendre leurs médicaments.
« Le recrutement et la rétention des participants au projet sont des étapes clés pour le succès de n’importe quelle étude clinique », dit Diane Laforte, gestionnaire de projet au sein de l’équipe, qui a travaillé activement au recrutement des participants au projet TAKE-IT. Pour Marie-Ève Alary, coordonnatrice de recherche, c’est la débrouillardise qui prime. « On est dans les coulisses de la clinique, c’est-à-dire qu’on attend le feu vert de l’infirmière pour approcher les patients qu’on a préalablement identifiés, explique-t-elle. On doit agir rapidement; on leur explique en quoi consiste la recherche, on répond à leurs questionnements et on les rassure s’ils ont des préoccupations », explique-t-elle.
Cela fait 27 ans que je travaille au CUSM et c’est toujours aussi beau de voir des jeunes qui après une transplantation, peuvent avoir une vie pratiquement normale. C’est merveilleux ce que la science fait pour ces gens-là. — Diane Laforte, gestionnaire de projet
En transplantation, ce qui me motive c’est de discuter avec les patients, après tout ce qu’ils ont vécu, et de voir qu’ils vont mieux. Ce qui me plait dans mon métier, c’est de sauver des gens à ma façon. — Marie-Ève Alar , coordonnatrice de recherche
« Nous faisons le pont entre les chercheurs et les patients. Il faut aimer être proche des gens, savoir gérer le stress et avoir de bonnes relations interpersonnelles », ajoute Mme Laforte.
Le rôle crucial de l’analyse de données
Jeune postdoctorante en biostatistiques et épidémiologie, Julie Boucquemont a intégré l’équipe il y a quelque mois et travaille sur les données de TAKE-IT. Elle essaie d’identifier les facteurs de risque qui influencent ou non l’observance au traitement, pour encourager ceux qui éprouvent de la difficulté à s’y conformer. « Ce qui me plait, à moi, ce n’est pas le contact humain, mais les modèles statistiques, lance Mme Boucquemont d’un sourire. Même si je ne rencontre pas les participants personnellement, j’ai quand même l’impression d’avoir un impact sur leur vie. »
Au sein de l’équipe de la Dre Foster, il y a d’autres « passionnés des chiffres » qui jouent un rôle crucial dans l’avancée des travaux de la chercheuse. Mourad Dahhou et Xun Zhang, tous deux biostatisticiens à l’IR-CUSM, travaillent depuis huit ans sur une importante base de données américaine unique au monde afin d’en extraire toutes sortes d’informations pertinentes sur les récipiendaires de greffes aux États-Unis.
« Je m’occupe de traiter les données et d’identifier des variables pour répondre aux questions que se pose la Dre Foster, explique M. Dahhou. Par exemple, je peux extraire des informations sur la durée de vie d’une personne qui a été transplantée versus une personne qui est sous dialyse et en attente de transplantation, et je peux affiner l’analyse en fonction du sexe biologique de la personne et voir s’il y a des différences entre hommes et femmes. »
Je suis heureux de faire des découvertes qui sont parfois fascinantes. Ça me donne de l’énergie pour continuer à chercher. — Mourad Dahhou, biostatisticien
Pour les chercheurs, cette base de données est une mine d’or car elle regroupe des informations sur plus de 1 000 000 de personnes atteintes d’insuffisance rénale sur divers aspects de santé. Selon la Dre Foster, il y a un nombre insuffisant d’enfants et de jeunes adultes qui ont eu une transplantation rénale au Canada pour répondre à bon nombre des questions que son équipe souhaite aborder. En conséquence, il n’y a pas encore de base de données canadienne similaire.
M. Zhang, lui, est plus en amont du processus. Il aide les chercheurs à concevoir leurs études afin de s’assurer que les modèles d’analyses répondent le mieux possible aux questions qu’ils se posent. « Cela fait 15 ans que je travaille à l’IR-CUSM. J’aime le milieu de la recherche et je suis fier de pouvoir contribuer aux publications de haut calibre de nos chercheurs. »
Identifier d’autres facteurs en milieu hospitalier
Le travail de recherche ne s’arrête pas là. L’équipe s’intéresse également à l’environnement dans lequel les soins sont reçus et à la manière dont ils sont prodigués, toujours avec l’objectif d’encourager une meilleure observance au traitement. C’est ainsi que l’étude multicentrique POSITIVE, qui fait partie du programme national de recherche en transplantation du Canada, a vu le jour. La Dre Foster est un des co-chercheurs principaux du projet qui a été financé par les Instituts de recherche en santé du Canada pour une durée de cinq ans.
« Dans cette étude, on collige les données auprès des patients sur l’observance au traitement et sur leur maladie, mais également, et c’est une nouveauté, auprès du personnel hospitalier comme les infirmières ou les chefs de programmes de transplantation, explique Mme Alary, qui coordonne le projet POSITIVE. Le but est de voir si on peut identifier des facteurs liés aux soins de santé qui peuvent aider ou freiner les patients à prendre leurs médicaments. »
L’équipe de recherche travaille en étroite collaboration avec le programme pédiatrique de transplantation rénale de l’HME-CUSM fondé et dirigé par la Dre Lorraine Bell, sans qui les études cliniques seraient impossibles à réaliser.
« Nous sommes particulièrement excités à l’idée de débuter prochainement une étude novatrice, conjointement avec l’équipe de la Dre Bell, qui va inclure au cœur de l’équipe de recherche un jeune greffé du rein ainsi qu’un parent, explique la Dre Foster. L’idée est d’obtenir des informations détaillées de la part des patients, des parents et des membres de l’équipe de transplantation et de réfléchir à comment nous pouvons intégrer des interventions d’observance thérapeutique au sein même des pratiques cliniques. »