Du Viagra pour soigner les nouveau-nés qui ont manqué d’oxygène

Montréal, le 15 février 2024 – Les traitements pour venir en aide aux bébés qui ont manqué d’oxygène durant la grossesse ou à la naissance (encéphalopathie néonatale) sont limités. L’hypothermie thérapeutique est la seule option utilisée pour prévenir les lésions au cerveau dans de tels cas, mais 29 % des nouveau-nés qui la reçoivent développent tout de même des séquelles neurologiques importantes. La première phase d’une nouvelle étude clinique menée à l’Hôpital de Montréal pour enfants (HME) montre que l’administration de sildénafil, commercialisé sous le nom de Viagra, pourrait être une piste de solution.

Il s’agit de la première démonstration de faisabilité (proof-of-concept) à tenter de réparer les lésions au cerveau causées par l’encéphalopathie néonatale, alors que la recherche se penche généralement sur la façon de les prévenir. Les résultats indiquent que l’utilisation du sildénafil auprès des bébés qui ont développé de telles séquelles malgré l’hypothermie thérapeutique est faisable et sécuritaire. Cette première phase montre aussi des signes encourageants en termes d’efficacité et les recherches se poursuivent à cet égard.

« Actuellement, lorsqu'un bébé souffre de lésions cérébrales, nous ne pouvons pas lui offrir grand-chose d'autre que des soins de soutien tels que la physiothérapie, l'ergothérapie ou des soins spécialisés. Si nous disposions d'un médicament capable de réparer le cerveau, cela pourrait changer l'avenir de ces bébés. Ce serait une victoire pour l'enfant, pour sa famille et pour la société en général. », explique la Dre Pia Wintermark, auteure principale de l’étude, néonatologiste à l’HME et scientifique au Programme en santé de l’enfant et en développement humain de l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM).

Étudié pour les adultes

Des recherches menées sur des modèles de rat ont montré que le sildénafil peut avoir des propriétés neurorestoratrices chez les adultes ayant subi un accident vasculaire cérébral. Il était ainsi important de savoir si ce médicament pouvait avoir des effets similaires sur le cerveau des nouveau-nés.

L’idée a germé alors que la Dre Wintermark effectuait sa résidence en Suisse. Elle a poursuivi sa formation pour apprendre à travailler avec des modèles animaux à Boston. Arrivée à Montréal, elle a commencé ses recherches en laboratoire en 2010.

Entre 2016 et 2019, le Dre Wintermark et son équipe ont finalement pu procéder à la première phase de l’étude clinique auprès de 24 bébés nés à 36 semaines de gestation ou plus, avec une encéphalopathie néonatale modérée à sévère, ayant été placés sous hypothermie thérapeutique et présentant des lésions cérébrales malgré le traitement. Du groupe, huit ont reçu le sildénafil à partir du deuxième ou troisième jour de vie, et ce, deux fois par jour pendant sept jours (total de 14 doses). Un placebo a été administré à trois autres nouveau-nés.

Pendant les dix premiers jours de vie des enfants, les chercheurs ont évalué si le traitement était sécuritaire en répertoriant l’occurrence d’effets indésirables tels que l’hypotension, la dégradation des fonctions hépatiques, l’hypertension artérielle pulmonaire persistante, le décès, etc.

Une légère baisse de la tension artérielle a été notée chez deux des huit bébés après la première dose de sildénafil, mais ça ne s’est pas reproduit par la suite. Un nouveau-né ayant reçu le médicament est décédé après que sa famille ait décidé de passer aux soins palliatifs, un choix que les parents font parfois lorsque leur enfant présente lésions cérébrales importantes. Cet événement n’est pas réputé être relié à l’administration du sildénafil. Aucun enfant du groupe placebo n’est décédé.

L’étude conclut donc que le sildénafil est sécuritaire et bien absorbé par bébés ayant développé des lésions cérébrales à cause de l’encéphalopathie néonatale et chez qui l’hypothermie thérapeutique s’est révélée inefficace.

Des signes de guérison

L’efficacité du sildénafil a également été évaluée lors de l’étude de façon exploratoire. À 30 jours de vie, on retrouvait chez cinq nouveau-nés ayant reçu le sildénafil une guérison partielle de leurs lésions, une réduction de la perte de volume cérébral et une augmentation de la matière grise profonde. Rien de tel n’a été noté dans le groupe placebo.

Neuf patients sur dix ont aussi été revus à 18 mois afin de procéder à leur évaluation neurodéveloppementale. Dans le groupe ayant reçu le sildénafil, un bébé sur six a développé la paralysie cérébrale, contre trois bébés sur trois dans le groupe placebo. Un retard global du développement et de la motricité fine a été noté chez deux enfants sur six à qui on a donné le médicament, alors que tous les enfants du groupe placebo (3/3) en souffrent.

Dre. Pia Wintermark
Dr. Pia Wintermark

« Tous les nouveau-nés ayant participé à l’étude présentaient d’importantes lésions cérébrales. Il était donc attendu que leur développement neurodéveloppemental soit moins bon que chez la population générale de bébés souffrant d’encéphalopathie néonatale et traités sous hypothermie thérapeutique », indique la Dre Wintermark.

La première phase de cette étude ne visait pas à établir l’efficacité du sildénafil en de tels cas. Cependant, les évaluations à 30 jours et 18 mois excluent des effets indésirables à long terme et montrent des résultats encourageants pour la suite des choses. Des recherches subséquentes seront effectuées sur de plus larges cohortes afin de confirmer les conclusions de la phase 1, de définir le dosage optimal de sildénafil et d’établir son potentiel neuroprotecteur et neurorestorateur.

« Le sildénafil est peu coûteux et facile à donner. S’il tient ses promesses lors des prochaines phases de l’étude, il pourrait changer la vie des bébés souffrant d’encéphalopathie néonatale partout à travers le monde », conclut la chercheuse.

 

 

À propos de l’étude

L’étude Feasibility and safety of sildenafil to repair brain injury secondary to birth asphyxia: A randomized, double-blind, placebo-controlled phase Ib clinical trial a été réalisée par Pia Wintermark, Anie Lapointe, Robin Steinhorn, Emmanouil Rampakakis, Jürgen Burhenne, Andreas D. Meid, Gzona Bajraktari-Sylejmani, May Khairy, Gabriel Altit, Marie-Therese Adamo, Alishia Poccia, Guillaume Gilbert, Christine Saint-Martin, Daniela Toffoli, Julie Vachon, Elizabeth Hailu, Patrick Colin et Walter E. Haefeli.

https://doi.org/10.1016/j.jpeds.2023.113879

À propos de l’Hôpital de Montréal pour enfants

Fondé en 1904, l’Hôpital de Montréal pour enfants (HME) est l’hôpital pédiatrique du Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Premier hôpital du Québec à se consacrer entièrement aux soins des enfants, l’HME est un établissement d’enseignement et de recherche axé sur les soins de troisième et quatrième lignes aux nouveau-nés, aux enfants et aux adolescents de moins de 18 ans. L’HME dessert 63 % de la population géographique du Québec.

Grâce à ses installations de soins et de recherche pédiatriques adjacentes à l’établissement pour adultes du site Glen, l’HME est dans une position unique pour offrir des services et réaliser des études aux différentes étapes de la vie de ses patients. Le Centre de médecine innovatrice McConnell — seul centre de recherche clinique en milieu hospitalier en Amérique du Nord — permet à ses chercheurs de mener des essais cliniques sur le site de l’hôpital. 

L’HME est un chef de file reconnu pour la prestation d’un vaste éventail de soins ultraspécialisés aux jeunes patients et à leurs familles de partout au Québec. L’hôpital est un centre provincial désigné de traumatologie reconnu pour la richesse de son expertise en cardiologie et en chirurgie cardiaque, en soins d’urgence, en neurologie et en neurochirurgie. hopitalpourenfants.com 

À propos de l’IR-CUSM 

L’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM) est un centre de recherche de réputation mondiale dans le domaine des sciences biomédicales et de la santé. Établi à Montréal, au Canada, l’Institut, qui est affilié à la faculté de médecine de l’Université McGill, est l’organe de recherche du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) – dont le mandat consiste à se concentrer sur les soins complexes au sein de sa communauté. L’IR-CUSM compte plus de 460 chercheurs et près de 1 300 étudiants et stagiaires qui se consacrent à divers secteurs de la recherche fondamentale, de la recherche clinique et de la recherche en santé évaluative au site Glen et à l’Hôpital général de Montréal du CUSM. Ses installations de recherche offrent un environnement multidisciplinaire dynamique qui favorise la collaboration entre chercheurs et tire profit des découvertes destinées à améliorer la santé des patients tout au long de leur vie. L’IR-CUSM est soutenu en partie par le Fonds de recherche du Québec – Santé (FRQS). ircusm.ca