Pandémie de la COVID-19 : un regard sur le passé pour mieux affronter les défis futurs
Des défis sans précédent - comme la pandémie actuelle de la COVID-19 - exigent parfois des actions sans précédent, et ce n’est qu’avec le recul que l’on peut les évaluer. Deux études menées par des chercheurs de l’IR-CUSM fournissent des indications pour évaluer les stratégies employées pour prévenir et gérer la pandémie de la COVID-19 au Canada
Suivi de l’historique de voyage des premiers cas de COVID-19 au Canada
Des chercheurs de l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM), en collaboration avec des chercheurs de l’Université de Montréal, ont suivi les antécédents de voyage des premiers patients ayant obtenu un résultat positif à la COVID-19 au Canada, afin d’aider les organismes de réglementation à évaluer si les stratégies employées pour prévenir la propagation étaient, rétrospectivement, optimales. Publié dans l’International Journal of Infectious Diseases, leur article montre qu’au 11 mars 2020, alors que 64,1 % des cas de COVID-19 dans le monde provenaient de Chine, seulement 7,6 % des cas de COVID-19 au Canada s’étaient déjà rendus en Chine. Parmi les 118 cas confirmés à cette date, les antécédents de voyage les plus souvent signalés étaient originaires du Moyen-Orient, des États-Unis et de l’Europe.
Les chercheurs ont suivi les 118 premiers cas confirmés de COVID-19 au Canada publiés chaque jour sur les sites web gouvernementaux et ont obtenu l’historique de ces cas sur des sites web d’information nationaux et locaux. Ils ont recoupé tous les cas avec ceux résumés par les sites web et les médias en ligne, afin de s’assurer de l’exactitude du décompte des cas confirmés et de leur origine.
Sur les 118 cas, neuf (7,6 %) étaient liés à des voyages en provenance de la Chine, tandis que 35 (30,0 %) étaient liés à des voyages en provenance de l’Iran. « Les autres destinations de voyage fortement représentées comprennaient les États-Unis (18,2 %, par avion ou par voie de surface), l’Europe (13,1 %) et l’Égypte (10,1 %) », notent les auteurs dans leur article.
« Nos résultats indiquent clairement que nos citoyens voyageant à l’extérieur du Canada (y compris aux États-Unis, la destination la plus populaire) représentent un moyen clé de transmission des agents pathogènes au Canada », déclare l’auteure principale de l’étude, la Dre Sasha Bernatsky, scientifique principale du programme Maladies infectieuses et immunité en santé mondiale de l’IR-CUSM.
Cette recherche est l'idée du Dr Naizhuo Zhao, associé de recherche au Centre de recherche évaluative en santé (CRES) de l'IR-CUSM. Il a utilisé une représentation visuelle appelée diagramme de Voronoï pour montrer les pays et les régions d’où étaient revenus les 118 premiers patients canadiens identifiés comme atteints de la COVID-19. Les cas communautaires, c’est-à-dire sans dossier de voyage récent, ont été comptabilisés comme des cas canadiens (figure 1A). Un autre graphique a été produit pour montrer la répartition des cas confirmés de la COVID-19 dans le monde au 11 mars 2020 (figure 1B).
« Notre étude suggère qu’à l’ère de la mondialisation, le risque d’importer une épidémie d’un pays donné n’est pas nécessairement proportionnel au nombre de cas de maladie confirmés dans un pays », déclare la Dre Bernatsky, qui est également professeure James McGill à l’Université McGill. « On aurait pu envisager des interdictions de voyage liées à un plus grand nombre de pays pour freiner la propagation de la COVID-19, ainsi que le dépistage des voyageurs venant de l’étranger ».
Les limites potentielles de l’étude comprennent la possible non-déclaration de cas de COVID-19 dans certains pays et la sous-détection des cas légèrement symptomatiques ou asymptomatiques, mais l’étude fournit tout de même un tableau révélateur de la situation qui prévalait lorsque la pandémie a atteint le Canada.
Figure 1
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L’étude « Tracking the origin of early COVID-19 cases in Canada » a été menée par Naizhuo Zhao, Ying Liu, Audrey Smaragiassi et Sasha Bernatsky. DOI : https://doi.org/10.1016/j.ijid.2020.05.046
Ce travail a été financé par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) (PJT-159682).
Pénuries d’hydroxychloroquine : quand l’enthousiasme pour un éventuel remède affecte les patients
Étant donné l’optimisme du public et des scientifiques quant à l’utilisation de l’hydroxychloroquine (HCQ) au début de la pandémie de COVID-19 comme traitement potentiel de cette nouvelle maladie, plusieurs éditoriaux ont ont fait état de préoccupations concernant la pénurie de ce médicament peu coûteux qui est très largement utilisé pour le traitement de plusieurs maladies rhumatismales. Une équipe de chercheurs de l’Institut de recherche du CUSM a rapidement organisé une enquête nationale auprès des rhumatologues du Canada pour connaître leur expérience de la pénurie d’HCQ. Les résultats, publiés dans les Annals of the Rheumatic Diseases, révèlent qu’une majorité des répondants ont rapporté des difficultés à obtenir ou à renouveler ce médicament.
Au total, 531 rhumatologues canadiens ont été contactés entre le 14 et le 24 avril 2020, et 134 (taux de réponse de 25 %) ont répondu à l’enquête de 5 questions. Ils ont indiqué leur province de pratique, si la pénurie d’HCQ dans leur province les préoccupait et s’ils avaient été contactés par des patients ou des pharmacies concernant les difficultés de renouvellement des prescriptions HCQ pendant la pandémie de COVID-19. Ils ont également été interrogés sur le nombre de patients qui les avaient contactés.
Les trois quarts des répondants (n=102, 76 %) étaient préoccupés par la pénurie de HCQ, tandis que 81 (60 %) avaient été contactés par des pharmacies ou des patients au sujet de difficultés d’accès ou de renouvellement de l’HCQ. Le problème était beaucoup plus apparent au Québec, où 90 % des rhumatologues ont signalé des problèmes d’accès à l’HCQ. En moyenne, les rhumatologues québécois ont signalé environ 10 fois plus de patients affectés que dans les autres provinces (médiane de 50 patients par médecin au Québec contre 5 dans le reste du Canada).
Les auteurs notent que « l’expérience substantiellement différente des rhumatologues québécois peut en outre être une conséquence non intentionnelle des stratégies systémiques d’atténuation pour gérer les pénuries imminentes de HCQ de façon proactive ». Les autorités sanitaires québécoises ont restreint l’accès à l’HCQ pour toutes les indications excepté le lupus érythémateux systémique (LED) (ainsi que pour les femmes enceintes et les enfants), afin de protéger ces groupes vulnérables.
« En limitant l’accès à l’HCQ à ces seuls groupes, le médicament est devenu indisponible pour tous les autres patients. Avec 1 % de la population québécoise atteinte de polyarthrite rhumatoïde, dont beaucoup prennent de l’HCQ, cette restriction a énormément affecté les patients atteints de maladies rhumatismales et leurs soignants », explique l’auteure principale du texte, la Dre Evelyne Vinet, scientifique au programme Maladies infectieuses et immunité en santé mondiale de l’IR-CUSM et professeure agrégée au Département de médecine de l’Université McGill. « Les impacts cliniques des pénuries pour ces patients restent inconnus et méritent une attention particulière ».
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L'étude Hydroxychloroquine shortages during the COVID-19 pandemic a été menée par Arielle Mendel MD, MSc, Sasha Bernatsky MD, PhD, Carter Thorne MD, Diane Lacaille MD, MHSc, Sindhu R Johnson MD, PhD et Evelyne Vinet MD, PhD. DOI : http://dx.doi.org/10.1136/annrheumdis-2020-217835