Prendre des opioïdes à la maison après une chirurgie ferait plus de tort que de bien
Une nouvelle étude réalisée à l’IR-CUSM conclut que la prescription d’analgésiques opioïdes au congé des patients après une intervention chirurgicale ne réduit pas la douleur postopératoire et augmente le risque d’effets indésirables.
Montréal, 20 juin 2022 - La prescription répandue d’opioïdes aux patients qui quittent l’hôpital ou une clinique après une intervention chirurgicale a contribué à une crise sans précédent de dépendance et de surdoses en Amérique du Nord. Considérant les risques associés à cette pratique et le manque de données probantes pour la justifier, une équipe de chercheurs de l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM) a mené une étude pour estimer dans quelle mesure l’usage d’opioïdes après le congé des patients avait un impact sur l’intensité de la douleur et les événements indésirables déclarés par les patients, en comparaison avec un traitement analgésique non opioïde. Les résultats de l’étude indiquent que la prescription d’opioïdes pour gérer la douleur postopératoire après le congé d’un patient est non seulement inutile, mais nuisible dans de nombreux contextes chirurgicaux. Ces conclusions, publiées dans The Lancet, comblent une lacune critique dans les connaissances sur la manière dont la douleur doit être prise en charge à domicile après une intervention chirurgicale.
Dans leur étude, les chercheurs ont combiné les résultats de 47 essais cliniques randomisés comparant la prise d’analgésiques opioïdes et non opioïdes prescrits au congé des patients après une intervention chirurgicale. De ce nombre, 30 portaient sur des interventions mineures (majoritairement dentaires) et 17 sur des interventions d’ampleur modérée (principalement en orthopédie et en chirurgie générale).
« Nous avons constaté que la prescription d’opioïdes n’avait aucun impact sur la douleur postopératoire signalée par les patients, mais augmentait considérablement le risque d’événements indésirables, comme les nausées, les vomissements, la constipation, les étourdissements et la somnolence, dit le chercheur principal de l’étude, Julio Fiore Jr., Ph. D., scientifique au sein du Programme de recherche : blessure, réparation et récupération à l’IR-CUSM. La prescription d’analgésiques non opioïdes pourrait prévenir ces effets indésirables, améliorer l’expérience de rétablissement des patients et contribuer à atténuer la crise des opioïdes en réduisant le risque d’abus postopératoire, de dépendance et de détournement des opioïdes. »
Les chercheurs n’ont constaté aucune différence dans d’autres aspects du rétablissement, ce qui bouscule les croyances courantes selon lesquelles la prescription d’opioïdes aurait un impact positif sur la satisfaction des patients en matière de gestion de la douleur, l’interférence de la douleur dans les activités quotidiennes et les visites aux urgences postopératoires.
Un usage risqué, mais répandu
Les médicaments opioïdes soulagent la douleur en agissant sur de nombreuses zones du système nerveux, mais ils ont aussi d’autres effets comme l’euphorie et la sédation. Parmi les opioïdes plus couramment prescrits par les chirurgiens se trouvent l’oxycodone et l’hydromorphone, le tramadol et la codéine, qui ont un potentiel addictif.
« Environ 6 % des patients chirurgicaux n’ayant jamais pris d’opioïdes et qui s’en font prescrire à leur retour à la maison après une opération viennent à en faire un usage persistant. De plus, sur l’ensemble des comprimés d’opioïdes obtenus par les patients en chirurgie, jusqu’à 70 % ne sont pas utilisés et sont susceptibles d’être détournés, ajoute Julio Fiore, qui est également professeur adjoint au Département de chirurgie de l’Université McGill. Face à cette situation alarmante, il est urgent d’atténuer la surprescription postopératoire d’opioïdes tout en assurant une prise en charge adéquate de la douleur des patients. »
Plus de 300 millions de personnes subissent une intervention chirurgicale dans le monde chaque année. Toutefois, les ordonnances d’opioïdes à la suite d’une opération sont surtout répandues au Canada et aux États-Unis, où les décès par surdose d’opioïdes ont grimpé en flèche au cours des 20 dernières années.
« Les analgésiques opioïdes sont peu utilisés en contexte postopératoire en Europe, en Asie, au Moyen-Orient et en Amérique du Sud. Les raisons qui contribuent à l’utilisation généralisée des opioïdes postopératoires en Amérique du Nord sont multifactorielles, mais comprennent les préoccupations des cliniciens concernant le contrôle inadéquat de la douleur, l’insatisfaction des patients et le risque d’augmentation des visites aux urgences en raison de la douleur non contrôlée, explique Charbel El-Kefraoui, co-premier auteur de l’étude et stagiaire de recherche à l’IR-CUSM. Les résultats de notre étude indiquent qu’aucune de ces préoccupations n’est étayée par des preuves. »
« Les alternatives aux opioïdes sont souvent négligées, alors qu’elles devraient être intégrées comme base de l’analgésie postopératoire chaque fois que cela est possible, ajoute Julio Fiore. Notre travail vise à établir un solide corpus de connaissances pour éclairer la prescription d’analgésie fondée sur des données probantes et limiter les dangers liés aux opioïdes après une intervention chirurgicale. »
Une analyse exhaustive et rigoureuse des données existantes
Pour obtenir ces résultats, les chercheurs ont effectué une méta-analyse, c’est-à-dire une revue de la littérature suivie d’un travail statistique combinant les données de plusieurs études afin d’en extraire les tendances générales et les résultats communs. Dans un premier temps, ils ont recensé au sein de sept grandes bases de données bibliographiques les essais randomisés comparant la prise d’analgésiques opioïdes et non opioïdes par des patients âgés de 15 ans et plus, prescrits au congé de l’hôpital à la suite d’une intervention chirurgicale d’ampleur mineure, modérée, majeure ou complexe-majeure. L’analgésie non opioïde a été définie comme tout régime de gestion de la douleur (pharmacologique, non pharmacologique ou combiné) qui ne comprend pas de médicaments opioïdes. Les chercheurs ont ensuite exclu les essais croisés (où les patients reçoivent deux types de traitement subséquemment), les essais à dose unique (où un médicament est donné en une seule dose, contrairement à la pratique courante en contexte postopératoire), ceux visant à traiter une douleur chronique et ceux où l’administration des médicaments se faisait par voie invasive à domicile (intraveineuse ou autre). Après cet élagage, 47 essais cliniques portant sur des interventions mineures à modérées ont été retenus et inclus dans l’analyse.
« La qualité des études recensées était variable, et aucune d’entre elles ne portait sur l’analgésie non opioïde prescrite lors du congé suivant une intervention majeure ou majeure complexe, souligne Charbel El-Kefraoui. Il sera donc important de mener des études sur différentes procédures chirurgicales et sur divers régimes de gestion de la douleur postopératoire incluant des interventions pharmacologiques et non pharmacologiques comme l’établissement des attentes, la relaxation et l’utilisation de sacs de glace. »
Cette recherche s’est appuyée sur un important travail multidisciplinaire, rassemblant l’expertise de scientifiques, de cliniciens, de bibliothécaires et de biostatisticiens. Elle a également bénéficié de la collaboration d’une patiente partenaire qui a participé activement à toutes les étapes du projet et qui a contribué par son expérience vécue et ses connaissances à la conception de l’étude et à l’interprétation des résultats.
À propos de l’étude
L’étude Opioid versus opioid-free analgesia after surgical discharge: a systematic review and meta-analysis of randomised trialsa été réalisée par Julio F Fiore Jr., PhD; Charbel El-Kefraoui, MS; Marc-Aurele Chay, MD ; Philip Nguyen-Powanda, BSc; Uyen Do, BSc; Ghadeer Olleik, MSc; Fateme Rajabiyazdi, PhD; Araz Kouyoumdjian, MD Alexa Derksen, MSc; Tara Landry, MLISh ; Alexandre Amar-Zifkin, MLISi ; Amy Bergeron, MISti ; Agnihotram V. Ramanakumar, PhD; Marc Martel, PhD; Lawrence Lee, MD ; Gabriele Baldini, MD etLiane S Feldman, MD.
DOI: https://doi.org/10.1016/S0140-6736(22)00582-7
Personne-ressource pour les médias
Fabienne Landry
Coordonnatrice aux communications, Recherche, CUSM
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