Des chercheurs découvrent un nouveau mécanisme immunitaire qui protège l’intestin

Une équipe de L’Institut a percé un mystère de l’immunité intestinale grâce à l’étude des vers intestinaux — une découverte prometteuse pour améliorer les traitements des troubles digestifs dans le monde entier.

Une équipe de scientifiques de l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (L’Institut) a fait une découverte majeure qui met en lumière la manière dont le système immunitaire protège l’intestin lors d’une infection. En étudiant des vers intestinaux, aussi appelés helminthes, l’équipe dirigée par le professeur Irah King a découvert un mécanisme immunitaire jusqu’alors inconnu qui préserve la fonction intestinale en présence d’une infection persistante.

Cette percée, récemment publiée dans la revue Cell, pourrait ouvrir la voie à de nouveaux traitements, non seulement contre les infections helminthiques, qui touchent plus de deux milliards de personnes dans le monde à un moment ou à un autre de leur vie, mais aussi contre d’autres maladies intestinales. Ces résultats pourraient également permettre la réévaluation de certaines stratégies thérapeutiques précédemment écartées en raison d’une compréhension incomplète des processus biologiques en jeu. 

« C’est notamment en détruisant les virus ou les bactéries que notre système immunitaire nous protège. Cependant, certains agents pathogènes, tels que les helminthes, ont trouvé le moyen de lui échapper. Ils peuvent rester dans l’intestin pendant des mois, voire des années, sans provoquer de maladies », explique le Prof King, Ph. D., chercheur principal au sein du programme de recherche translationnelle sur les maladies respiratoires de L’Institut. 

« Intrigués par ce paradoxe, nous avons étudié comment le système immunitaire tolère l’infection par les helminthes, dans l’espoir de mettre en évidence les voies cellulaires qui interviennent dans cette forme de défense de l’hôte. Nos résultats ont des implications importantes, car ils pourraient potentiellement aider à lutter contre divers agents pathogènes et maladies responsables de lésions intestinales. »

En cas d’infection, les interférons sont essentiels pour protéger le fonctionnement des organes

Dans cette étude, l’équipe du Prof King a examiné les infections helminthiques chez la souris et a découvert que des interférons — des signaux immunitaires surtout connus pour leur rôle défensif contre les infections bactériennes ou virales — étaient produits lors d’une infection helminthique. 

À leur grande surprise, les chercheurs ont découvert que ces signaux n’avaient aucun effet sur les vers eux-mêmes. Les interférons communiquaient plutôt avec le stroma — un groupe de cellules qui donne forme et structure à nos organes — pour contrôler les dommages causés par les vers et permettre à l’intestin de continuer à fonctionner.

Pour confirmer ces observations, l’équipe a eu recours à des approches génétiques afin d’empêcher les cellules stromales de recevoir les signaux des interférons. Dans ces conditions, l’infection par les helminthes a provoqué des saignements intestinaux et un dysfonctionnement grave du système digestif, démontrant ainsi le rôle essentiel des interférons dans la protection de l’intestin.

L’intestin, cible de menaces constantes

L’intestin est constamment exposé à des agressions pouvant entrainer des dommages. Ces agressions peuvent être causées par des infections, des complications chirurgicales et de l’inflammation chronique liée à une mauvaise alimentation, aux polluants et à d’autres facteurs environnementaux. Selon l’étude Global Burden of Disease 2019, qui a analysé les données de 204 pays et territoires, les troubles digestifs touchent environ 35 % de la population mondiale. Parmi eux, les infections intestinales (ou entériques) sont la principale cause de décès par maladie digestive à l’échelle mondiale.  

Susan Westfall et Irah King au Lab King, à L’Institut.

« Cette statistique frappante reflète les effets de l’utilisation massive d’antibiotiques, des régimes alimentaires riches en produits transformés et de la hausse des taux d’infection liés à la surpopulation — autant d’activités humaines dont nos intestins font les frais », explique le Prof King, également professeur au Département de microbiologie et d’immunologie de l’Université McGill et directeur du Centre de recherche sur le microbiome de McGill.

Lorsque l’intestin est trop endommagé, des cicatrices peuvent se former — un phénomène appelé fibrose — ce qui réduit le bon fonctionnement de l’intestin et nuit à la digestion ainsi qu’à l’absorption des nutriments. Avec le temps, l’accumulation de tissu cicatriciel et la mauvaise digestion peuvent mener à des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, comme la maladie de Crohn.

« Les communautés scientifique et médicale cherchent des moyens de traiter les lésions intestinales sans recourir à une chirurgie lourde ou à des médicaments agressifs, explique Susan Westfall, stagiaire postdoctorale dans le laboratoire du Prof King à L’Institut et première auteure de l’étude. Ce qui distingue notre recherche, c’est qu’elle explore comment le système immunitaire agit au sein même de la structure de l’intestin. Nos résultats sont particulièrement pertinents pour les pays en développement, où les infections intestinales sont répandues, mais pourraient également éclairer de nouveaux traitements pour des maladies intestinales courantes ici au Canada, comme les maladies inflammatoires de l’intestin. »

Une découverte née de la curiosité, de l’analyse et du travail d’équipe

En étudiant l’infection par des vers parasites chez la souris, les chercheurs ont commencé à observer des changements physiques macroscopiques inattendus dans les tissus intestinaux — des différences qu’ils ne pouvaient expliquer sur-le-champ. Ces observations les ont amenés à approfondir leurs recherches en vue de comprendre comment le système immunitaire pouvait interagir avec les cellules stromales afin de préserver la fonction intestinale malgré l’infection. Des discussions et des collaborations avec plusieurs collègues de L’Institut — incluant le biologiste des cellules souches Alex Gregorieff, l’immunologiste Maziar Divangahi et le spécialiste des maladies infectieuses Donald Vinh — ainsi qu’avec une multitude de scientifiques internationaux aux expertises variées ont finalement mené à la découverte de ce mécanisme immunitaire inédit.

Les auteurs soulignent que la majorité des recherches se concentrent sur la prévention ou l’élimination des maladies infectieuses. Peu d’études s’intéressent aux dommages collatéraux causés pendant l’infection, qui peuvent compromettre le fonctionnement des organes, entraîner des incapacités à long terme ou une résistance aux traitements classiques. Leur découverte ouvre une nouvelle perspective dans la compréhension des mécanismes de défense de l’hôte.

« Au cours des prochaines années, il sera intéressant d’explorer si les voies immunitaires protectrices que nous avons mises en évidence peuvent être exploitées dans des vaccins favorisant la tolérance à l’infection, ou dans des thérapies ciblant des maladies inflammatoires comme le cancer, les maladies inflammatoires de l’intestin et la fibrose, où l’activation incontrôlée des cellules stromales entraîne un dysfonctionnement des organes », explique le Prof King.

 

À propos de l’étude

L’étude A type 1 immune-stromal cell network mediates disease tolerance against intestinal infection a été réalisée par Susan Westfall, Maria E. Gentile, Tayla M. Olsen, Danielle Karo-Atar, Andrei Bogza, Franziska Röstel, Ryan D. Pardy, Giordano Mandato, Ghislaine Fontes, De’Broski Herbert, Heather J. Melichar, Valerie Abadie, Martin J. Richer, Donald C. Vinh, Joshua F.E. Koenig, Oliver J. Harrison, Maziar Divangahi, Sebastian Weis, Alex Gregorieff et Irah L. King.

Cette recherche a été financée par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), qui ont également accordé une bourse à Susan Westfall. Un soutien supplémentaire pour la Plateforme de recherche gnotobiotique de L’Institut — une ressource essentielle à la réalisation de l’étude — a été fourni par l’Initiative interdisciplinaire en infection et immunité de McGill (MI4) et la Fondation du Centre universitaire de santé McGill.

Personne-ressource pour les médias

Fabienne Landry
Coordonnatrice des communications, Recherche, CUSM
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